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tombe et, en un clin d’œil, les petites vestes blanches se retrouvent à leur poste accoutumé.

Réveillé vers sept heures, j’attendais encore mon café vers neuf heures, quand les marchands de journaux nous apportèrent les nouvelles du jour. Hier soir, le fils de l’amiral avait assuré devant moi que dans trois mois on ne parlerait plus de l’insurrection. On prétendait qu’Aguinaldo était en pourparlers avec le gouvernement, et lui proposait la paix pour un million de dollars. Mais je lus dans la gazette tant d’actions d’éclat et de victoires sur les Indiens qu’Aguinaldo me parut le plus impudent des marauds asiatiques d’oser, rossé comme il l’était, demander un million pour ne plus l’être. Il y a des généraux qui semblent doués d’ubiquité, tant leurs manœuvres rapides déconcertent l’adversaire. Aguinaldo tenait d’eux assurément, mais avec cette différence que, partout où il surgissait, la valeur castillane le faisait rentrer sous terre. Battu le matin, à midi, le soir et dans la nuit, il se signalait aux quatre points cardinaux par de merveilleuses défaites, et les événemens de la guerre étaient pleins de miracles. Comment en eussé-je douté devant les listes de décorations nouvelles qui débordaient les colonnes de la presse ? Quelle profusion de médailles et de croix ! Quel pavoisement de poitrines héroïques ! Et comment croire qu’une poignée de mutins continuerait à troubler l’ordre, quand on parlait déjà d’élever un monument en l’honneur des Indiens fidèles ? Le gouverneur, Primo de Rivera, venait d’accomplir un voyage dans les provinces enthousiastes et lançait une proclamation dont le lyrisme, il est vrai, mourait sur ces mots : « Pour lutter contre les infâmes, vous ne marchanderez ni vos vies ni vos biens. »


Dimanche soir.

On m’avait tant parlé des combats de coqs, que j’ai voulu y assister. Ce sont peut-être les seuls combats qu’il me sera donné de voir en ce temps de guerrillas. Les Espagnols affectent de les mépriser comme un jeu ridicule et cruel. Ces tueurs de taureaux dédaignent le sang des bêtes à plumes. Au déjeuner, mon voisin de table, un professeur à la Faculté de médecine, me disait : « Nous laissons ce bas divertissement aux métis et aux Indiens. La passion qu’ils y apportent montre bien leur barbarie puérile. Ils vendraient leur femme et leurs filles pour entretenir leur coq de bataille, et, dans un incendie, c’est lui qu’ils sauvent, avant de