blancs, des soutanes de prêtres, des épaulettes d’or, des chapeaux hauts de forme et des chapeaux à plumes. Les victorias versent un parfum de robes et de mantilles. Ce n’est pas la brise qui nous caresse, c’est l’haleine des chevelures odorantes. Rompu par la chaleur du jour, et presque suffoqué, je donnai l’ordre à mon cocher de s’éloigner au plus vite. Une riche voiture, qui nous dépassa, m’envoya une telle bouffée d’iris que je pensai défaillir, et l’Indien, se retournant sur son siège, me dit : « C’est le carrosse de l’Archevêque. »
Il se moquait peut-être de moi ! D’ailleurs, il est certain qu’à Manille, la femme et le prêtre se partagent le pouvoir. On sent tout de suite qu’elle est puissante, et lui omnipotent. Il a rejeté, comme une contrainte inutile, la discrétion des manières et l’humilité de l’attitude. La terre et les âmes lui appartiennent. Il se carre dans sa domination. Les soldats qui se traînent sur les trottoirs, les volontaires en gris qui retroussent fièrement leurs sombreros de paille, ne sont que ses gardes du corps ou des ouvriers qu’il met aux grosses besognes. On le rencontre partout, lui aussi. Il passe, le cigare aux dents, renversé dans sa voiture, promenant autour de lui les regards satisfaits d’un parvenu millionnaire. Cet après-midi, au seuil même de l’Hôtel d’Orient, quand nous y entrâmes, un grand diable de capucin, les jambes étendues devant un bock, ferma son bréviaire pour nous dévisager. J’ai croisé des Augustins et des Franciscains : ce sont de beaux hommes, dont la poitrine et les épaules s’accommoderaient aisément des lourdes armures et dont le bras saurait manier la rapière des temps héroïques. Quand on les compare aux chétifs Tagals, on comprend qu’une terreur superstitieuse les ait rendus si longtemps inviolables. Mais comparez-les aux adolescens où Madrid recrute leurs défenseurs ; regardez ces enfans de Séville et de Cadix, épuisés par les privations héréditaires, grelottant de fièvre, trop faibles pour supporter le poids d’un ciel tropical sur leur uniforme de soldat, et vous aurez un tableau vivant du déséquilibrement de la puissance espagnole. Ce soir, comme je revenais du consulat français, j’ai longé de vastes baraquemens élevés sur pilotis, hôpitaux improvisés, déjà trop étroits, bien que bâtis d’hier. Les portes en étaient ouvertes à la fraîcheur de la nuit. D’espace en espace, une lampe, suspendue à une poutre transversale, éclairait de petites masses noires bossuées comme des tombes ; parfois un gémissement, un