avec terreur la perspective d’une lutte qui, engagée en Italie pouvait s’étendre à toute l’Europe.
Le prince Napoléon et la princesse Clotilde assistaient à la séance. ils furent applaudis, mais sans conviction ; ils symbolisaient à ce moment une politique que la France réprouvait. Tandis qu’à Turin, le Roi et son peuple, étroitement unis dans une même pensée, se préparaient à réaliser des desseins séculaires, à Paris, l’Empereur, en opposition avec le sentiment national, poussé par le destin, et inconsciemment dominé par des idées préconçues, s’apprêtait à détruire l’œuvre de nos grands politiques et de nos grands capitaines.
La froideur avec laquelle avait été accueilli le discours impérial n’échappa pas aux ministres ; ils supplièrent le souverain, en lui démontrant que sa popularité même en dépendait, d’accentuer son altitude pacifique et surtout de faire taire les organes officieux tels que la Patrie, dont le ton était en contradiction constante avec celui des déclarations officielles. M. de Morny, dans une allocution au Corps législatif dont il était le président, atténua, par des paroles ultra-pacifiques qui soulevèrent les bruyans applaudissemens de l’Assemblée, le fâcheux effet produit par le discours du Trône. — « La religion, la philosophie, le crédit, le travail, s’écria-t-il, ont fait de la paix le premier bien des sociétés modernes ; le sang des peuples ne se répand plus légèrement : la guerre est le dernier recours du droit méconnu ou de l’honneur offensé. Les communications internationales si rapides, la publicité, ont créé une puissance nouvelle avec laquelle tous les gouvernemens sont forcés de compter : cette puissance, c’est l’opinion. » Ces paroles, prononcées et acclamées il y a trente ans, n’ont pas cessé d’être vraies ; et, aujourd’hui que l’Europe entière est en proie au vertige des arméniens, plus encore qu’en 1859, elles traduisent les sentimens véritables des peuples et s’imposent aux méditations des gouvernemens.
G. ROTHAN.