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de likin pour les marchandises munies de ces passes par des droits « d’arrivée à destination. » Les marchandises indigènes ont presque entièrement renoncé à se servir de passes de transit, car, sous une forme ou sous une autre, les taxes arbitraires reparaissent toujours.

Est-il étonnant qu’avec toutes ces entraves, doublées d’un système monétaire tout à fait rudimentaire, le commerce qui s’y traite s’élève à 1 250 millions de francs seulement, dont 680 millions à l’importation, ce qui est assurément peu pour un si vaste et si riche pays[1]. La moitié des échanges porte sur quatre articles seulement : 200 millions de cotonnades et 120 millions d’opium importés ; 200 millions de soie et 125 millions de thés exportés. Ce dernier chiffre est inférieur à ce qu’il était autrefois : le thé de l’Inde a chassé d’Angleterre le thé de Chine, dont la préparation, faite suivant les vieilles méthodes indigènes, est moins bonne et la conservation moins sûre. C’est encore un exemple, entre mille, de la nécessité d’introduire en Chine des méthodes perfectionnées et scientifiques.

Le mouvement d’échanges du Céleste Empire avec l’extérieur restera toujours limité et très inférieur à ce qu’il devrait être, tant que les étrangers ne pourront pénétrer dans le pays même et diriger l’exploitation de ses ressources. Aussi bien est-ce à cela et non plus à un simple négoce que les Européens prétendent aujourd’hui. Mais ici c’est une tâche toute nouvelle qu’on entreprend. Tant qu’il ne s’agissait que d’ouvrir quelques nouveaux ports, le gouvernement chinois se laissait aisément persuader. Pour l’amener à permettre l’introduction de l’outillage et des capitaux européens, des méthodes industrielles européennes dans le pays même, il n’a pas fallu moins que le sentiment de sa complète impuissance à résister. Mais l’ « homme malade » de Pékin pourra-t-il supporter les remèdes violens qu’on lui administre aujourd’hui ? Ne risquent-ils pas de le tuer plutôt que de le guérir, et, ce faisant, ne répondraient-ils pas plus exactement aux secrets désirs de certains de ses médecins, qui se préparent déjà à s’en disputer l’héritage ?


PIERRE LEROY-BEAULIEU.

  1. Ces chiffres s’appliquent à 1893. En 1897, le commerce a atteint 366 millions de taëls, soit 1320 millions de francs, au change moyen de l’année (dont 720 millions d’importation).