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mais aucun d’eux n’avait songé à recourir à la guerre pour la satisfaction de nos sympathies. Tous s’étaient méfiés des visées ambitieuses du Piémont. Le gouvernement provisoire de 1848, bien que partisan de l’émancipation des peuples, avait cru devoir exposer en termes très précis au gouvernement sarde l’esprit général de notre politique en Italie. « Nous désirons, écrivait M. Bastide à M. de Bois le Comte, l’affranchissement de l’Italie, mais nous ne saurions admettre au profit d’une puissance italienne une domination plus inquiétante peut-être que celle de l’Autriche elle-même. C’est-à-dire que nous ne pourrions demeurer spectateurs indifférens et pacifiques des projets d’ambition et d’agrandissement que semble montrer Charles-Albert. Ce serait déjà pour la France et pour l’Italie un fait assez grave que la création au pied des Alpes d’une monarchie de onze à douze millions d’habitans, appuyée sur deux mers, formant à tous égards une puissance redoutable, sans que ce nouvel État, ainsi constitué, dût encore absorber le reste de l’Italie. Nous pourrions admettre l’unité tout au plus sous la forme et sur le principe d’une fédération entre États indépendans, ayant leur souveraineté propre, s’équilibrant autant que possible, et non point d’une unité qui placerait l’Italie sous la domination d’un seul gouvernement, le plus puissant de tous. Il est à craindre que ce soit là précisément ce qu’on veut à Turin. »

Nos intérêts sans doute étaient opposés à ceux du cabinet de Vienne dans les affaires de la Péninsule, mais l’Autriche n’était pas seulement une puissance italienne, elle avait sa raison d’être dans le système européen ; elle faisait contrepoids à la Russie dans les Balkans et à la Prusse en Allemagne. En 1849, elle avait empêché la formation à nos portes d’un empire germanique, et, en 1854, elle nous avait permis, en s’alliant à nous, d’arrêter les armées russes dans leur marche sur Constantinople ; avant de l’ébranler au profit du Piémont et de la Prusse, il y avait pour la France lieu d’hésiter. Nous ne devions rien abandonner en Italie de ce que l’honneur et nos sympathies nous prescrivaient ; nous pouvions combattre une influence rivale, gênante, par la presse et la diplomatie ; mais recourir sans nécessité absolue à la guerre, c’était abdiquer notre libre arbitre et mettre en question les intérêts traditionnels de notre politique.