autoriser le cabinet de Pétersbourg à dire, à son gré, à tout moment, aux ministres anglais : — « J’ai signé une convention secrète avec l’empereur Napoléon, qui me permet de me soustraire, avec son appui, aux stipulations humiliantes que vous m’avez imposées au Congrès de Paris ; mais rassurez-vous : soucieux de nos intérêts communs, j’ai eu soin d’exiger, en traitant avec la France, qu’elle abdiquât toute prétention sur le Rhin ; j’ai sauvegardé l’œuvre du Congrès de Vienne. »
Le projet du prince Gortchakof était léonin, astucieux ; on eût dit qu’il l’avait rédigé avec l’unique préoccupation qu’il pût être en tout temps placé sous les yeux de l’Angleterre par la Russie, tandis que nous serions mis dans l’impossibilité d’en faire autant ; si nous nous y étions prêtés, nos relations avec les Anglais eussent dépendu absolument de sa volonté. Que nous donnait-on en échange ? Une neutralité bienveillante et la promesse de réunir un corps d’armée dont la destination était problématique, puisqu’on refusait de rompre les relations diplomatiques avec l’Autriche.
Réunir un corps d’armée sur les frontières d’un État voisin, en guerre avec un autre, c’est une simple mesure de précaution. Pour que ce rassemblement impliquât un caractère de compromission, il aurait fallu qu’elle fût suivie d’un acte, d’une intimation, ou au moins d’une rupture des rapports officiels. La simple concentration d’un corps d’armée russe sur les frontières de la Galicie était tout au plus un avertissement donné à l’Autriche ; c’était lui dire : « Prenez garde, vous pourriez bien avoir à compter avec moi. » Quant à la neutralité bienveillante, elle allait de soi, sans qu’il y eût besoin de l’inscrire dans un traité. La neutralité de la Russie dans une guerre entre nous et l’Autriche était forcément bienveillante pour la France, car ce que la Russie désirait avant tout, c’était de faire payer à l’Autriche son ingratitude. Voilà ce que le prince Napoléon, tombé sous le charme de L’empereur Alexandre, circonvenu par son ministre, et impatient d’ailleurs de rapporter à Paris et à Turin un projet de traité, négligeait de comprendre, malgré sa haute intelligence.
Au lieu de laisser au duc de Montebello le soin de reprendre les négociations avec le prince Gortchakof, l’Empereur envoya à Pétersbourg, au mois de décembre, l’amiral La Roncière. Il ne se rendait pas compte, qu’en recourant si volontiers à des missions