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Toutefois, sans redouter la guerre d’une manière absolue, la Russie, dont l’état intérieur était troublé par l’émancipation des serfs, ne souhaitait pas d’y être impliquée, car elle ne se sentait pas encore en état de la faire avec avantage. Il n’y avait donc pas à compter sur sa coopération active. Nous étions autorisés, seulement, à croire qu’elle n’hésiterait pas à signer le traité qu’à Stuttgart, son ministre nous avait offert spontanément et qui devait nous assurer sa neutralité sympathique et la concentration d’une armée sur les frontières de la Galicie. L’Empereur, malheureusement, avait laissé échapper l’occasion ; au lieu d’accepter le traité, il avait mieux aimé s’en tenir à un échange de lettres constatant en termes généraux l’accord intervenu et laissant aux événemens le soin de lui donner ses développemens. Il préférait se réserver une porte ouverte ; il compromettait sans cesse le succès de ses combinaisons par le décousu de ses volontés.

Les sentimens du cabinet de Pétersbourg ne s’étaient pas modifiés, sa haine contre l’Autriche était toujours vivace ; on ne contestait pas l’accord, mais, pour le consacrer contractuellement, on posait des conditions. Le prince Gortchakof pouvait à présent savourer à bon compte le plaisir des dieux ; il nous savait engagés avec le Piémont ; la guerre désormais était certaine ; il n’avait plus qu’à se croiser les bras et à laisser les événemens suivre leur cours, certain que l’Autriche n’échapperait pas à sa perte. Aussi nous tenait-il la dragée haute. Ce qu’il nous proposait désormais n’ajoutait rien aux engagemens pris dans les lettres échangées entre les deux Empereurs, si ce n’est la liberté de modifier l’état territorial de la Péninsule et la faculté de nous assurer éventuellement des sécurités militaires sur nos frontières italiennes. Le projet nous imposait, en retour, l’obligation de ne pas soulever la question de Pologne ; de ne pas poursuivre de restauration napoléonienne en Italie, et de ne pas remettre en question les délimitations tracées par le Congrès de Vienne touchant aux intérêts communs de l’Angleterre, de la Prusse et de la Russie. Dans le même acte où nous nous engagions envers la Russie à abandonner la politique qui nous avait liés et nous liait encore à l’Angleterre, l’empereur Alexandre stipulait avec nous le respect des traités de Vienne ; nous faisions litière des stipulations de 1856, et du même coup, nous renoncions à poursuivre sur nos frontières de l’Est la révision des traités de 1815. C’était