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L’Empereur avait initié M. de Cavour aux secrets de l’entrevue de Stuttgart ; il lui avait parlé des lettres échangées avec l’empereur Alexandre. Mais le ministre piémontais, qui ne se payait pas de mots, avait trouvé que des déclarations d’entente faites, sous forme de lettres, en termes élastiques, mal définis, rappelaient trop le billet de La Châtre, qu’elles ne constituaient pas un engagement contractuel. Désireux d’avoir la Russie en tiers dans son jeu avec la France, il conseillait de réclamer du cabinet de Pétersbourg une convention de neutralité en bonne et due forme, à laquelle il participerait. Il n’était pas fâché d’accoler, au bas d’un traité d’alliance, le nom de son roi à ceux des deux empereurs ; cela grandissait déjà le Piémont.

Il était important, sans doute, de nous mettre en règle avec la Russie et de nous assurer, à la veille d’une grande guerre, non seulement sa neutralité sympathique, mais aussi son concours diplomatique, et au besoin son assistance militaire. La question était de savoir dans quelle mesure et à quelles conditions le cabinet de Pétersbourg confirmerait ses promesses. Sa politique, depuis le traité de Paris, n’avait eu du « recueillement » que les apparences. Le prince Gortchakof avait trouvé un mot heureux pour masquer le travail souterrain de sa diplomatie. Elle s’était appliquée, depuis le Congrès, à substituer à l’alliance anglo-française une alliance franco-russe, à éveiller la discorde entre la France et l’Autriche, à prévenir une entente trop intime entre le cabinet de Vienne et celui de Londres ; à entretenir des sentimens de jalousie et de rivalité entre les deux grandes puissances allemandes ; et surtout à empêcher que l’influence anglaise ne prît à Berlin la place de l’influence russe.

Ce programme, poursuivi avec une habile persévérance, avait permis au cabinet de Pétersbourg, après l’entrevue de septembre 1857, qui ne l’engageait que moralement, de reprendre pied en Europe, avec notre appui, et de forcer tous les gouvernemens à compter avec lui.