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mettre le comte Walewski au courant de ses arrangemens avec le ministre piémontais. Peut-être même, tant il se cachait de ses conseillers, ne lui eût-il pas parlé de la venue de M. de Cavour à Plombières, si la présence de ce dernier n’avait pas été signalée au ministère des Affaires étrangères par la préfecture de police : — « Votre incognito est trahi, avait dit, en souriant, Napoléon III à son hôte ; Walewski me télégraphie que vous êtes ici ! » — Il s’était bien gardé d’ajouter ce que contenait la dépêche. — « Votre Majesté connaît mon opinion sur Cavour, disait le comte Walewski ; je le tiens pour un esprit inquiet, ambitieux et très peu sûr dans ses relations ; je le considère par conséquent comme un homme d’autant plus dangereux qu’il a du charme, du brillant même ; et une véritable habileté pour user de tous les moyens de nature à le conduire à ses fins. »

M. de Cavour, on l’a vu, était arrivé mystérieusement, en touriste, sous un nom d’emprunt ; sans l’intervention d’un officier de la maison impériale, qui l’avait reconnu, on l’eût même arrêté faute de papiers. La gendarmerie, mise en éveil depuis l’attentat d’Orsini, l’avait pris pour un personnage suspect !

L’Empereur n’avait en tout cela qu’un confident, son cousin. Il ne pouvait laisser ignorer au prince Napoléon des pourparlers dans lesquels celui-ci avait joué un rôle déterminant. Le prince devait être l’attache intime, familière, des deux politiques ; de son entrée dans la maison de Savoie dépendait l’alliance. La demande de l’Empereur n’avait ni surpris ni effarouché le comte de Cavour ; pour obtenir l’affranchissement de l’Italie, il était résolu à ne reculer devant rien. « Quand on a donné la fille, on peut bien donner le berceau, » disait-on plus tard, à propos de la cession de la Savoie. Le ministre se flattait qu’en épousant la princesse Clotilde, le prince épouserait du même coup la cause italienne. Ses calculs s’inspiraient de la connaissance du cœur humain. Les grands politiques ont toujours été de grands psychologues.

Dès que la question du mariage, subordonnée à la sanction du Roi, fut affirmativement résolue, le prince Napoléon s’empressa de partir pour Turin ; il avait à cœur d’exprimer sa reconnaissance à Victor-Emmanuel, son futur beau-père, et de prouver à M. de Cavour, en concertant avec lui les bases d’une alliance offensive et défensive d’après les clauses stipulées à Plombières, qu’il ne méconnaissait pas la haute pensée qui présidait à son mariage. M. de Cavour caressa ses instincts aristocratiques, chatouilla son