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La Prusse était fort perplexe. L’Empereur n’avait cependant rien négligé pour lier partie avec elle. Dès son avènement au pouvoir, il s’était adressé à ses convoitises ; alors qu’elle se voyait menacée d’être exclue de la paix au sortir de la guerre de Crimée, il l’avait maintenue au rang de grande puissance en la faisant admettre, malgré l’Angleterre et l’Autriche, au Congrès de Paris. Dans les premiers jours de décembre, il avait chargé le marquis Pepoli de sonder les dispositions de son beau-frère, le prince de Hohenzollern, président du Conseil prussien[1]. » Dans la pensée de Napoléon III, disait le marquis Pepoli, l’Autriche représente le passé et la Prusse l’avenir ; elle ne peut se contenter d’un rôle secondaire, elle est appelée à une plus haute fortune, elle doit accomplir en Allemagne les grandes destinées qui l’attendent et que l’Allemagne attend d’elle. » Malgré ces avances si marquées, le marquis Pepoli n’avait pas su vaincre les craintes et les préventions de la Cour de Prusse ; il n’avait rapporté que de vagues protestations, sans portée contractuelle. Le prince-régent était ambitieux ; comme Frédéric II, il ne connaissait pas de « plaisir plus grand que celui d’arrondir ses domaines ; » seulement, méfiant et scrupuleux, il cherchait à concilier la foi des traités avec la passion des conquêtes. Il supputait les chances que lui offrait un conflit entre la France et l’Autriche. Il se voyait enfermé dans un dilemme : « Laisser écraser l’Autriche, disait-il dans ses épanchemens avec le prince Albert, n’est-ce pas s’exposer à partager son sort plus tard ; et, d’un autre côté, lui assurer la victoire en l’assistant en loyal confédéré, n’est-ce pas travailler, aux dépens de la Prusse, à la consolidation de sa suprématie en Allemagne ? » L’hésitation était permise. Le prince Albert, appelé en consultation, répondait : — « Lorsque Frédéric le Grand, en campagne, demandait au vieux Ziethen ce qu’on devait

  1. Lettre de Cavour au marquis de Villamarina. — « Turin, 7 décembre 1858. Je dois vous prévenir que j’ai engagé le marquis Pepoli de Bologne, neveu de Murat, à se rendre à Berlin pour tâcher de pénétrer les véritables intentions du prince de Hohenzollern, dont il a épousé la sœur et avec lequel il est très lié. Le marquis Pepoli a de l’esprit, de l’instruction, de l’activité, il est très dévoué à la cause italienne, mais il est un peu léger et tant soit peu bavard. Il serait bon par conséquent de ne lui rien confier de ce qui est de nature confidentielle, tout en vous tenant en bons rapports avec lui. »