attribuait cette disgrâce au roi Léopold, au prince Albert, et au duc de Cobourg, les « trois anabaptistes » occupés à miner dans l’ombre sa puissance. — Le prince Albert protestait contre ces soupçons. « Les rapports de votre envoyé et ceux de Cowley, disait-il à son oncle, sont importans à mettre en regard ; ils révèlent l’état d’esprit de l’Empereur. Il est, de naissance et par son éducation, conspirateur ; complotant lui-même, il soupçonne les autres de comploter aussi. Louis-Napoléon nous accuse de travailler à une alliance de l’Angleterre, de la Prusse et de l’Autriche. Cette idée s’est emparée de son esprit ; il appréhende évidemment que, s’il s’alliait à la Russie, ces trois puissances ne s’unissent instinctivement dans une pensée de défense. Vous savez que je ne travaille à aucune alliance, et que mon frère Ernest ne travaille qu’à son opéra ; mais il est furieux de ce que Manteuffel, son instrument à Berlin, lui ait glissé dans les mains au moment critique. Il est évident qu’il a fait ce calcul : la Russie veut se venger de l’Autriche, elle me soutiendra ; les Anglais détestent l’Autriche, ils seront feu et flamme pour l’Italie ; la Prusse, qui également déteste l’Autriche, sera enchantée de la voir humiliée et de s’agrandir à ses dépens en Allemagne. Mais il pourrait bien compter sans ses hôtes ; la Bourse est d’ailleurs une grande prêcheuse de paix. »
Ces vertueuses protestations étaient malheureusement démenties par les affirmations du baron de Budberg et du comte de Bismarck, qui, rappelé de Francfort, allait être nommé à Pétersbourg. « Le ministre de Russie, écrivait le marquis de Moustier, me représente le roi Léopold comme étant l’instigateur et l’âme d’une croisade contre la France, ce qui, dit-il, est une grande folie de sa part, car, s’il surgissait des complications, la Belgique pourrait bien être la première à en supporter le poids et à en faire les frais. Je dois ajouter que M. de Bismarck confirme ces allégations ; il regarde le roi des Belges comme ayant pris la part la plus active au changement de ministère en Prusse et aux efforts qui se font pour ameuter l’Allemagne contre nous. »
M. de Bismarck, en 1858, avait abjuré ses préventions contre la France ; oublieux de l’altercation qu’il avait eue avec le marquis de Moustier pendant la guerre de Crimée, des noms d’Iéna et de Waterloo inconsidérément prononcés[1], il était revenu sans rancune à la légation de France. Son ambition était d’être nommé
- ↑ Voyez la Prusse et son roi pendant la guerre de Crimée.