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sans bruit des deux côtés du Tessin. On se refusait à y voir les symptômes précurseurs d’une guerre imminente. Les relations étaient rompues depuis plus d’un an entre le cabinet de Vienne et celui de Turin. On était habitué à leurs récriminations réciproques. Notre armée restait sur le pied de paix ; on ne signalait rien d’anormal dans nos arsenaux ; l’opinion demeurait calme. Il n’en était pas de même dans les cours initiées aux secrets des coulisses : là, on commençait à être fixé sur la portée de l’entrevue de Plombières, non par les indiscrétions des diplomates français, qui ne se doutaient de rien, mais par les propos de M. de Cavour, et surtout par les causeries de l’Empereur avec des hommes d’État anglais, notamment avec lord Palmerston.

De tous les conseillers de la Reine, lord Palmerston était le mieux disposé pour l’Italie. Il n’aimait pas l’Autriche et souhaitait son expulsion totale de la Péninsule. L’Empereur avait compté sur lui pour l’aider dans ses desseins. Mais, à la suite de l’attentat d’Orsini, il avait malencontreusement provoqué sa chute, en l’obligeant, par les réclamations hautainement formulées de l’ambassadeur de France, M. de Persigny, à présenter au Parlement un bill contre les réfugiés politiques qui prêchaient le régicide. Lord Palmerston était tombé du pouvoir, à la suite du rejet de son bill, atteint dans sa popularité. Invité à Compiègne dans le courant du mois de novembre, l’Empereur l’avait initié à sa politique italienne, se figurant sans doute qu’il le verrait bientôt rentrer aux affaires. Il lui avait raconté comment il s’était engagé à défendre le Piémont contre les agressions de l’Autriche, et comment des batteries d’artillerie étaient déjà parties afin de mettre Victor-Emmanuel à même de parer au premier choc en cas d’attaque. Il avait ajouté qu’un soulèvement général était organisé dans toute l’Italie du Nord. Les taciturnes se rattrapent, lorsque par hasard ils se mettent en frais de confidences.

Ces épanchemens intempestifs avec un ancien ministre peu francophile et d’une correction politique douteuse ne tardèrent pas à s’ébruiter à Londres, dans les cercles de la cour. Le prince Albert s’empressa d’en faire son profit dans ses correspondances[1]. On savait désormais à quoi s’en tenir sur la sincérité de nos protestations pacifiques ; on se voyait à la veille de graves événemens ; chacun cherchait à se prémunir. « Louis-Napoléon, écrivait le

  1. Le prince Albert de Saxe-Cobourg, époux de la reine Victoria, d’après leurs lettres et mémoires. — Extraits de l’ouvrage de Théodore Martin, par Craven.