en tout autre pays que la Chine, il serait superflu de stipuler que des objets manufacturés sur le territoire même ne seront pas plus mal traités que les produits similaires importés. Mais les négociateurs japonais connaissaient leurs hommes et savaient que, s’ils n’avaient exigé l’insertion de ces stipulations expresses, l’avantage obtenu ne manquerait pas d’être annulé par les taxes arbitraires et les vexations de toute sorte des autorités chinoises.
À quel besoin pressant répondait l’article 6 du traité de Shimonosaki, on en eut bientôt la preuve. En trois ans à peine, surgit à Sanghaï tout un faubourg industriel occupé par neuf grandes fabriques de coton, qui comptaient déjà 290 000 broches au début de 1898 et qui devaient en avoir bientôt 100 000 de plus, et trente filatures de soie avec 400 bassines, chiffre qui ne tardera pas à être doublé. Dans les autres ports, la poussée industrielle ne s’est pas encore fait sentir, bien qu’une fabrique de lainages soit en construction à Tientsin. Dans le grand centre même de Shanghaï, il s’est produit un léger ralentissement, bien naturel après une poussée aussi vive, et légitimé par le désir de se rendre compte des résultats que donneront les établissemens déjà ouverts avant de se lancer dans de nouvelles entreprises, aussi bien que par la crainte d’une élévation exagérée des salaires.
Sans doute le marché de main-d’œuvre qu’offre la Chine est immense, mais il l’est par l’étendue aussi bien que par les ressources, et l’offre ne saurait y répondre à la demande aussi vite que dans nos pays européens, pourvus de bons moyens d’information et de communication. Pourtant les riverains du Yang-tsé commencent à venir à Shanghaï. Beaucoup de nouveaux arrivans sont des « poules d’eau, » de ces pauvres gens méprisés, si nombreux dans les grandes cités chinoises, qui n’ont d’autres habitations que leurs sampangs, où toute une famille est entassée, sous la bâche qui en recouvre le centre, dans un réduit étroit et bas où un seul Européen se trouverait fort mal à l’aise. On voit leurs logis flottans amarrés dans les arroyos qui sillonnent les faubourgs de Shanghaï ; quand ils ont commencé de gagner quelque argent, ils se construisent, sur la terre ferme, une cahute dont leur bateau fournit la plupart des matériaux et qu’ils remplaceront plus tard par une maison plus solide. Malgré l’appoint de ces travailleurs venus de l’intérieur, les salaires se sont beaucoup élevés : lorsque j’étais à Shanghaï, il y a un an à peine, les usines se disputaient les unes aux autres leurs ouvriers et leurs ouvrières, car ce sont en