dans la mesure qu’il jugera indispensable ? Comment obtenir de lui, si l’un des siens fait une découverte propre à augmenter sa force défensive, ou même agressive, — car on ne se défend bien qu’en attaquant, — comment obtenir de lui la promesse qu’il ne se servira pas du moyen nouveau qui sera mis tout d’un coup à sa disposition ? Il est bien vrai que les découvertes dues au génie d’un seul deviennent rapidement la propriété de tous. Il n’y a pas, à proprement parler, de secret militaire qui ne tombe au bout d’un temps plus ou moins long dans le domaine commun. Nous avons trouvé la poudre sans fumée, tout le monde l’a maintenant. Les perfectionnemens des fusils ou des canons, malgré le mystère dont on cherche à les entourer, ne tardent pas à être universellement connus : tout au plus peut-on cacher les études et les expériences qui les préparent. Dès lors, on demande à quoi servent ces inventions. Elles ruinent les nations sans les fortifier, puisque leur force est chose relative, et que la relation première finit toujours par se rétablir entre elles. Poser ainsi la question, c’est, comme on dit, la résoudre, du moins en théorie : mais peut-être est-ce la poser dans des termes trop simples, et qui ne correspondent pas exactement à la réalité.
D’abord il n’est pas vrai, historiquement, que toutes les puissances s’approprient les découvertes faites par l’une d’elles aussitôt qu’elles sont dévoilées, et plus d’une fois celle qui avait su s’assurer la priorité d’un armement perfectionné en a usé à son profit. C’est ce qui a eu lieu, par exemple, en 1866, lorsque la Prusse, armée du fusil à aiguille, a battu l’Autriche à Sadowa. Pendant la guerre franco-allemande de 1870-1871, après la défaite et la suppression de nos armées de première ligne, il a fallu assez longtemps pour munir les autres de chassepots : toute l’armée prussienne avait le fusil à tir rapide alors qu’une partie des nôtres n’avait encore que le fusil à baguette. Aujourd’hui sans doute il n’en serait plus de même ; la différence d’armement entre deux armées européennes ne serait plus, de prime abord, aussi considérable ; toutes les puissances ont fait des efforts héroïques pour s’élever et se maintenir sensiblement au niveau les unes des autres. Il y aura cependant encore des périodes de transition où l’une pourra avoir l’avance sur l’autre, et, dans tous les cas, comme les ressources financières de chacune d’elles ne sont pas égales, il n’est pas indifférent d’avoir par avance affaibli son rival en l’appauvrissant. Si l’argent n’est plus absolument le nerf de la guerre, il y joue toujours un grand rôle. Mais ce ne sont pas les seules considérations à faire valoir, ni même les plus fortes. Il arrive, il peut du moins arriver