comme auparavant, de s’inspirer au jour le jour de leurs intérêts immédiats, et elles n’ont pas hésité à développer leurs forces à outrance ou même à les mobiliser. Elles pourraient peut-être dire à cela que, les suggestions russes n’ayant encore été acceptées par personne d’une manière définitive, il aurait été prématuré de s’y conformer. L’un aurait pu donner l’exemple et l’autre ne pas le suivre. Le premier se serait fortifié, le second se serait relativement affaibli. La proposition russe, qui a pour objet de maintenir telle quelle pendant un certain temps la proportion des forces en présence, n’aurait pas été respectée. Voilà sans doute ce qu’on aurait pu objecter ; mais la vérité est qu’on n’a éprouvé le besoin de donner aucune explication.
Qu’est-ce que cela prouve, sinon que l’œuvre si généreusement tentée est difficile, et qu’elle se heurtera à des oppositions encore plus grandes qu’on ne l’avait prévu ? Mais est-ce une raison pour y renoncer ? Non, certes. Il aurait mieux valu ne pas ouvrir au monde une aussi séduisante perspective, si on devait la lui fermer ensuite trop brusquement. En admettant même que les temps ne soient pas très propices, il ne faudrait pas se déclarer découragé. Ce serait dire qu’on croyait hier encore pouvoir lutter contre le danger, mais qu’on ne le peut plus aujourd’hui, tant il a grossi ! et cette espèce d’abdication devant une force proclamée insurmontable n’aurait rien de rassurant. Le gouvernement russe l’a compris. Après avoir parlé du changement survenu dans l’horizon politique, et qui l’a inopinément surchargé de nuages, le comte Mouravief continue bravement comme il suit : « Espérant, toutefois, que les élémens de trouble qui agitent les sphères politiques feront bientôt place à des dispositions plus calmes et de nature à favoriser le succès de la conférence projetée, le gouvernement impérial est d’avis qu’il serait possible de procéder dès à présent à un échange préalable d’idées entre les puissances dans ce dessein, et de rechercher sans retard les moyens de mettre un terme à l’accroissement progressif des arméniens de terre et de mer… » C’est l’avis du gouvernement impérial, c’est aussi le nôtre : il y aurait aujourd’hui plus d’inconvéniens à reculer qu’à aller de l’avant. Néanmoins, après avoir fait connaître son opinion à ce sujet, la chancellerie russe s’abstient de préjuger celle des puissances. « Dans le cas, dit le comte Mouravief, où elles jugeraient le moment actuel favorable à la réunion d’une conférence sur ces bases, il serait certainement utile d’établir entre les cabinets une entente au sujet du programme de ses travaux. » On voit combien les formes de la suggestion russe ont été atténuées depuis l’origine. Les incidens auxquels le comte Mouravief fait allusion