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neutre. C’est sans doute en souvenir de ce précédent que le comte Mouravief propose aujourd’hui que la prochaine conférence ne siège pas « dans la capitale de l’une des grandes puissances, où se concentrent tant d’intérêts politiques qui pourraient peut-être réagir sur la marche d’une œuvre à laquelle sont intéressés, à un égal degré, tous les pays de l’univers. » Nous ne savons pas si cette précaution sera efficace, car les petits pays, aujourd’hui, sont aussi perméables que les autres aux mille bruits de la publicité, et ils en sont quelquefois aussi vivement secoués. Aucune frontière n’est capable d’arrêter la pénétration de ces ondes sonores. Il n’y a peut-être nulle part de templa serena où des diplomates, élevés à la hauteur des sages de l’antiquité, puissent poursuivre dans le recueillement une œuvre qu’aucun écho du dehors ne vienne jamais troubler. Mais on ne saurait s’entourer de trop de garanties, et plus on en sent la faiblesse, plus il convient d’en multiplier le nombre. Il est bon que la prochaine conférence se tienne dans la capitale d’un petit pays. C’est ce qu’on a fait en 1874, sous les auspices de l’empereur Alexandre II, et ce qu’on fera bien de renouveler en 1899 sous les auspices de l’empereur Nicolas II.

Cela dit, prenons la circulaire. À la lire attentivement, on y aperçoit un peu d’hésitation et d’inquiétude, dont la circulaire du mois d’août dernier ne portait pas la trace. Il semble que le gouvernement russe ait un peu moins de confiance, sinon dans l’utilité de son initiative, au moins dans son opportunité. Le comte Mouravief, après avoir rappelé sa circulaire antérieure, ajoute « qu’au moment où il l’a écrite, rien ne semblait s’opposer à la réalisation plus ou moins prochaine de ce projet humanitaire. » L’observation est mise au passé. Depuis, bien des choses sont arrivées. « Malgré le grand courant d’opinion, dit le comte Mouravief, qui s’était produit, en faveur des idées de pacification générale, l’horizon politique a sensiblement changé d’aspect. En ces derniers temps, plusieurs puissances ont procédé à des armemens nouveaux, s’efforçant d’accroître encore leurs forces militaires, et, en présence de cette situation incertaine, on pourrait être amené à se demander si les puissances ont jugé le moment opportun pour la discussion internationale des idées émises dans la circulaire du 12 août. » Le ministre russe pose un point d’interrogation. Il a été frappé de ce fait que sa circulaire initiale, malgré l’accueil empressé qu’elle a universellement reçu, a été suivie d’un tel accroissement de forces militaires dans divers pays, qu’elle a paru en être le signal. Les mêmes puissances qui avaient donné une adhésion théorique à la noble pensée de l’empereur Nicolas ont continué, tout