spoliés et frustrés de leurs bénéfices commerciaux. De même, pendant l’occupation d’une partie de la Mandchourie par les troupes du Mikado, me disait un missionnaire anglais qui résidait dans le pays à l’époque de la guerre, les habitans étaient très satisfaits d’être soustraits au squeeze, aux exactions des mandarins et fort étonnés de voir au contraire les Japonais payer tout ce qu’ils achetaient.
Les Chinois ne sont donc pas sans apprécier les bons côtés de notre civilisation ; puisque nous leur infligeons le désagrément de notre présence, ils trouvent bien juste de profiter au moins des quelques avantages matériels que nous leur apportons ; mais, sauf quelques exceptions parmi les plus entreprenans d’entre ceux qui vont dans les colonies européennes du voisinage, ils préféreraient très probablement s’en passer et être débarrassés de nous. Au fond, ils ne cessent de nous mépriser, puis, dès qu’ils étudient, dès qu’ils aspirent à devenir lettrés, ils puisent dans leurs vieux classiques un immense orgueil et un profond dédain pour tout ce qui n’est pas la sagesse de Confucius. Or, ce n’est jamais par les masses ignorantes, mais par l’initiative d’une élite de penseurs dont les idées pénètrent peu à peu, qu’un pays peut se réformer, et malheureusement, dans le Céleste Empire, par suite de l’éducation chinoise, c’est précisément l’élite intellectuelle, ce sont les lettrés, les gens instruits qui sont le plus obstinément réfractaires à toute idée de progrès.
C’est là, plus encore que dans les absurdes superstitions qui ont cours à l’égard des étrangers parmi les populations de l’intérieur, qu’est le grand obstacle. Qu’on croie que les missionnaires achètent les enfans pour faire de leurs yeux ou de leurs viscères des ingrédiens pharmaceutiques, qu’on accuse les médecins européens de se livrer à d’abominables expériences ou de répandre la peste alors qu’ils veulent la guérir, cela n’a rien d’étonnant et l’on a vu de folles imaginations du même genre se traduire par des explosions populaires aux confins de l’Europe, à Astrakhan et en d’autres provinces russes, lors d’épidémies de choléra. Mais ce qui est grave, c’est que la classe lettrée, — incomparablement plus puissante en Chine qu’aucune catégorie sociale ne l’est en Europe, parce que sur elle se concentre le triple prestige divisé chez nous entre les représentans du pouvoir, ceux de l’aristocratie et ceux de la plus haute science, entretienne les superstitions et attise les haines populaires ; dans presque chaque émeute locale, dans