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Puis entr’ouvrant pour moi ta grenade pourprée
Tes lèvres ont pressé mes lèvres longuement.
J’ai goûté la douceur furtive du moment
Qui passe… mais ces grains qui m’ont désaltérée
Causeront désormais ma soif et mon tourment.

Le désir et l’effroi d’une chose inconnue
Me charme et m’épouvante ; et maintenant je sais
Ton nom terrible et tendre, hélas ! et je me plais
Au regret languissant du jour où je t’ai vue,
Puisque depuis ce jour je suis triste à jamais.


SALOMÉ



Son corps svelte vêtu d’une soie à rosaces
Traîne l’obscur velours d’un ourlet empourpré
Sur le dallage blanc des plus hautes terrasses
Où l’arabesque luit dans le marbre nacré.

Au rebord du balcon où son rêve l’exile
Elle étend ses bras frais et joue avec ses doigts ;
Son attitude semble une danse immobile,
La fleur de ses cheveux s’effeuille à ses pieds froids.

Sans doute courtisane et surtout enfantine,
Être doux et pervers et toujours trop aimé,
Insensible sourire, orgueil de la narine,
Charme de ce qu’on sent perfide, Salomé.

Sa taille ploie, et sous le long sourcil qui s’arque
Son regard est cruel, innocent et lascif ;
Est-ce d’avoir dansé devant le vieux tétrarque
Ou d’avoir soupesé le plat deux fois massif ?

Elle regarde au loin. D’un argent mat et terne,
La lune, au ciel couvert, s’arrondit lentement.
Elle écoute. Le vent gronde dans la citerne
Ou quel râle lointain en monte sourdement ?