Vous ne contemplez plus l’étincelante crête
Du flot qui bat aussi le bord natal de Crète
Ni le grand pâturage où paît un taureau blanc ;
L’automne vous a prise en ses pourpres étranges
Et le vent porte, avec l’ivresse des vendanges,
Comme un bourdonnement de tambourin tremblant.
Et pourtant vous pourriez, sage, vivre en vos songes,
Sur la trame sans fin variant leurs mensonges,
Avoir le long bonheur d’un espoir toujours vain.
Pourquoi recommencer l’éternelle aventure,
À tout jamais la même et passée et future ?…
Le regret de l’amour seul l’a rendu divin.
C’est un soir de printemps, au bord de la fontaine,
Que je t’ai rencontrée assise, et mélangeant
Les iris ténébreux aux narcisses d’argent ;
Et ta robe était sombre et ta beauté lointaine,
Et tu liais tes fleurs d’un lien diligent.
Je t’ai dit : « D’où viens-tu ? Tes lèvres et tes joues
Sont pâles ; tes iris sont couleur de tes yeux ;
Dis-moi le nom du fleuve où dans le fond vaseux
Plongeaient les tiges des nénuphars dont tu noues
Le nocturne bouquet de ces grands pavots bleus.
« Ils ont fleuri sans doute au sein de la nuit même.
Ils sont beaux ; je voudrais les cueillir chaque soir.
Ah ! prends garde ! dans l’eau tu vas les laisser choir…
Donne-les-moi plutôt, dis ? Le veux-tu ? Je t’aime
D’avoir aimé ces fleurs, passante au manteau noir. »
Et tu m’as répondu : « Prends mes fleurs, prends-les toutes,
Douce enfant ; assieds-toi près de moi ; l’air est pur.
Le printemps tout entier dort dans mon cœur obscur
Et c’est moi qui l’entraîne aux taciturnes routes.
Sens. L’herbe embaume et le croissant verdit l’azur. »