loin, deux scènes inoubliables, consacrées, l’une à la fuite, l’autre au martyre du premier successeur de Jésus. Mais je voudrais, si j’en avais la place, expliquer le caractère d’Ursus, cet athlète slave, aux yeux limpides d’enfant et au cœur de colombe. C’est bien là cette nature prime-sautière, telle que nous la surprenons chez nos paysans polonais d’aujourd’hui, plantes vigoureuses qui plongent leurs racines dans le sol, semblables à ces chênes millénaires, immuables depuis des siècles, mélange de grossièreté et de tendresse, d’humilité et d’assurance, de douceur et de barbarie. Dès qu’il s’agit du bonheur ou du salut de la fille de ses rois, l’Ours tuera sans hésitation et sans pitié, mais son âme reste dépourvue de fiel et de haine. Docile, résigné, il ne peut comprendre l’indicible mystère de la Rédemption. Sa foi naïve touche à l’hérésie. « Ah ! s’écrie-t-il, dans l’ardente ferveur de sa compassion, s’il avait plu au Sauveur de naître au fond de nos forêts, ce n’est pas nous qui l’aurions crucifié : nous l’aurions élevé et nourri, le cher petit enfant divin ! Jamais il n’eût manqué ni de vivres, ni de fruits, ni de fourrures, ni d’ambre. Le butin conquis sur les Marcomans et les Suèves, nous l’eussions jeté sous ses pieds adorables, afin qu’il voie tous ses désirs prévenus et satisfaits. »
Le voici cependant agenouillé au milieu de l’arène, prêt à se laisser déchirer par les fauves, sans songer à se défendre, tant il brûle d’amour, tant il s’estime heureux de mourir pour son Dieu… Mais quoi ! soudain, c’est Lygic qu’il aperçoit devant lui, Lygie, son enfant, sa reine, la fille de ses princes… évanouie, toute nue, liée aux cornes d’un taureau furieux.
Je ne sais quel cri de stupeur s’échappa de toutes les poitrines. D’un bond, le barbare s’était élancé vers la bête et l’avait saisie par les cornes. Alors se fit un lourd silence. Sous le vaste velarium, on eût entendu voler une mouche. Les spectateurs se refusaient à en croire leurs propres yeux. Jamais, depuis que Home existait, pareille scène ne s’était produite. Le Lyge maintenait l’aurochs entre ses bras de fer, les pieds enfoncés jusqu’aux chevilles dans le sable, la tête rentrée, l’échine ployée comme un arc tendu, les veines gonflées et si saillantes, qu’elles paraissaient prêtes à se rompre. L’animal ne bougeait pas non plus, rivé sur place. On eût dit un de ces groupes héroïques et gigantesques représentant les exploits d’Hercule ou de Thésée, fouillés à même dans la pierre. Mais, sous cette apparente rigidité, frémissait la tension prodigieuse de deux forces effroyables aux prises. De même que les pieds du Lyge, les sabots de l’animal semblaient s’être fixés