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d’or. Des clameurs s’élèvent, incertaines d’abord, hésitantes entre la pitié, l’horreur et l’ivresse d’une joie bestiale ; puis elles montent plus stridentes de minute en minute, semblant suivre la marche ascendante des flammes, qui s’élancent, bondissent, enveloppent les poteaux et les croix, dardent leurs langues jusqu’aux lèvres des victimes ; tordent leurs chevelures en un souffle embrasé ; jettent comme un voile splendide sur ces visages noircis où grimace la douleur ; — et toujours plus hautes, — paraissant défier le ciel, symbole effrayant de cette puissance maudite qui les a déchaînées. Alors aussi apparaît César, debout sur un quadrige d’or, que traînent des coursiers d’une blancheur éclatante. Il les conduit en personne. Partout sur son passage, les foules humaines ploient comme les épis au souffle de l’ouragan. « Et lui seul, au milieu de ce faste d’incendie, le front ceint de la couronne de laurier destinée aux vainqueurs du cirque, il domine ces courtisans, ce sénat, ces patriciens, toutes ces multitudes asservies.., prodigieux, gigantesque, ses bras qui tiennent les rênes, levés et tendus, semblent bénir son peuple. Et il passe, soleil resplendissant au-dessus de l’humanité lâche et dégradée… force maléfique, auguste, toute-puissante. »


IV

Je bornerai là mon analyse psychologique. Je ne parlerai pas de Chillon, ce Grec éhonté où je retrouve les traits de Zagloba, le soudard ventru de la Trilogie. On dirait que ce type de ribaud déclassé suggestionne le génie du romancier. Infime et grotesque au début, il se développe, s’élève, grandit, déborde son cadre jusqu’à prendre des proportions de héros ou de saint. Cet être vil, devenu l’un des plus puissans ressorts du drame, le rabaisse à mes yeux. Ce faquin, ce misérable mangeur de fèves, travesti en Augustianus, parcourant les rues de la ville étendu sur les coussins soyeux de sa litière, aux cris de ses porteurs : « Place ! place ! à l’illustrissime Chillon, ami et confident de César ; » me fait sourire de pitié. Sa conversion, son repentir, son supplice, même jusqu’à sa mort édifiante sur le glorieux gibet du Christ, me paraissent une profanation et une parodie. Je passerai outre, saluant les sublimes figures des apôtres Pierre et Paul, d’abord, parce que tout ce qu’on en pourrait dire pâlit devant l’admirable simplicité des récits de l’Évangile, et parce que le lecteur retrouvera, plus