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UN OFFICIER DES GUERRES DE L’EMPIRE

IV

En quittant Boulogne, le 22 août 1804, Reiset ne se doutait pas qu’il aurait à y revenir bientôt, mais cette fois dans des conditions beaucoup moins agréables. Il venait en effet de se fiancer à une jeune fille, Mlle  Amélie de Fromont, dont il avait fait la connaissance au château de Vic-sur-Aisne, près de Soissons, lorsque, le 10 juillet 1805, il reçut l’ordre de partir avec son régiment pour le camp de Boulogne : le 16e dragons, qu’il commandait, venait d’être désigné pour prendre part à l’expédition d’Angleterre.

Les premières lettres qu’il écrivit aux siens, de Calais d’abord, puis de Boulogne, sont remplies de doléances sur le vent, la pluie, la mauvaise installation, toutes choses qui, sans doute, lui auraient été plus indifférentes sans le chagrin qu’il avait d’avoir été brusquement interrompu dans ses beaux rêves de bonheur domestique. Attendant d’un jour à l’autre l’avis d’embarquement, il s’ennuyait et se morfondait ; et l’incertitude de l’avenir s’ajoutait encore à ses regrets du passé. « On dit, écrit-il vers le milieu du mois d’août, qu’on a signalé à Boulogne la flotte combinée marchant sur Brest ; on dit que nous allons avoir une guerre continentale ; enfin on dit tant de choses qu’on ne croit plus rien du tout, car on est obligé de revenir à chaque instant sur ses conjectures, et cela n’a pas le sens commun. »

L’ordre du départ vint enfin, dans les derniers jours du mois d’août : mais ce n’était point celui qu’il avait attendu. « J’arrive ici de Boulogne, écrivait-il à sa fiancée le 27 août, de Saint-Omer. J’arrive harassé de fatigue, avec huit cents hommes que je devais faire embarquer ; mais j’ai reçu brusquement contre-ordre pour venir joindre les dragons. Nous sommes quatorze ou quinze mille hommes en marche. On dit, et j’ai entendu dire au ministre de la Guerre lui-même, que l’Empereur voulait être le 15 brumaire à Vienne. Nous allons à Saint-Quentin, où nous recevrons des ordres. S’il est possible que je m’échappe, je vous verrai, oh ! mon amie, mon amie, mon cœur en pétille, et si je suis assez heureux pour l’obtenir, j’oublierai volontiers tous les tracas que j’éprouve. »

Il obtint en effet de s’arrêter à Soissons, et plus tard encore, à Colmar, auprès de sa mère. Mais dès le 26 septembre, il avait passé le Rhin, et quelques jours après il était à Stuttgart. « Le 4 octobre, raconte-t-il, l’Empereur entra à Stuttgart, et fut accueilli