Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
631
UN OFFICIER DES GUERRES DE L’EMPIRE

et un peu monotone, uniquement employée aux devoirs de sa profession ; et rien de ce qu’il nous en dit n’a de quoi intéresser beaucoup les historiens de son temps. Mais les nombreux loisirs que cette vie lui laissait lui ont permis de faire à mainte reprise de petits voyages en Alsace, en Flandre, à Paris surtout, et d’assister ainsi à toutes sortes d’événemens, qu’il n’a point manqué de décrire aussitôt, avec son exactitude et sa précision ordinaires.

« Tout s’est métamorphosé ici, écrivait-il de Paris en 1802, et chacun reprend peu à peu les usages de l’ancienne monarchie. Partout on voit des livrées brillantes et des habits somptueux, pareils à ceux qu’on portait sous Louis XVI. Les modes militaires de la Révolution, qui s’étaient imposées même dans le costume civil, ont complètement disparu. Aux bottes et aux pantalons ont succédé des bas de soie et des souliers à boucles. Le Premier Consul donne lui-même l’exemple, et la livrée verte qu’il a adoptée fait beaucoup parler, parce que c’était la couleur du Comte d’Artois. J’allai à une réception au château : c’était un luxe incroyable de toilettes, de plumes et de broderies. Le coup d’œil pourtant est bizarre, car beaucoup semblent gênés par ces élégances de cour auxquelles ils ne sont pas accoutumés. Le général Bonaparte se rend souvent au palais de Saint-Cloud, qui a été remis en état. C’est sur la demande des habitans qu’il s’est décidé à en faire sa résidence d’été : ils avaient adressé à ce sujet une pétition au Corps législatif. Beaucoup des anciens serviteurs de Marie-Antoinette sont encore employés au château : car Bonaparte, ayant appris qu’un grand nombre d’entre eux étaient restés à Saint-Cloud, leur fit proposer de reprendre leur ancienne place. »

Deux ans après, lors des fêtes du sacre, Reiset reçut l’ordre d’amener à Paris un bataillon qui devait faire la haie devant Notre-Dame, sur le passage du cortège : et ce fut encore pour lui, dans ses lettres, l’occasion de tableaux pleins de couleur et de vie. Le Pape, en particulier, avec sa robe de moine et son austère visage, paraît lui avoir laissé une très profonde impression. Il ne se lasse point de parler de lui, et nous fournit, par la même occasion, certains détails assez curieux sur la crise d’enthousiasme et de ferveur religieuse provoquée par sa venue dans les diverses classes de la société parisienne.

« Chaque jour, dit-il, on vient en grand nombre recevoir sa bénédiction. La terrasse des Tuileries est couverte d’une masse