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tion de l’aller rejoindre. Incorporé aussitôt dans le quatrième bataillon des grenadiers du Haut-Rhin, il recevait, quelques jours après, le baptême du feu, à Wissembourg, où une grave blessure à la jambe gauche le mettait hors de combat.

Le petit abbé s’était définitivement transformé en soldat. Durant les vingt années qui suivirent, il n’y eut pas une guerre où il ne prît part, s’avançant par de rapides degrés aux plus hauts grades de l’armée. Mais, dans une carrière si active, il avait gardé de sa première éducation l’habitude et le goût d’écrire, et il a suffi à son petit-fils de réunir quelques-unes de ses lettres ainsi que les nombreuses notes qu’il inscrivait au jour le jour sur ses carnets de poche, pour constituer une véritable autobiographie de son vaillant aïeul, toute remplie d’intéressans détails pittoresques ou anecdotiques, et d’autant plus fidèle qu’on la sent rédigée en présence même des faits[1].

I

Blessé, comme nous l’avons dit, au combat de Wissembourg, Reiset avait dû être ramené à Colmar ; mais, dès le mois de novembre de la même année, il avait repris son service. « J’assiste pour la première fois à une grande bataille, écrivait-il sur son carnet, le soir de la bataille de Fleurus. Kléber commande l’aile gauche de l’armée. Je fais partie d’un escadron chargé de soutenir l’artillerie. L’affaire est chaude, nous perdons beaucoup de monde. Un dragon, mon voisin, est atteint par un boulet qui lui coupe le ventre : ses entrailles rejaillissent sur moi et me couvrent de débris sanglans. Tout près de moi, l’officier qui commande mon peloton a son portemanteau mis en pièces par un autre boulet. Au même instant, un chef d’escadrons qui commandait un mouvement en avant reçoit une balle dans la bouche et tombe mort. »

Reiset lui-même sortit intact de cette terrible mêlée ; mais, au mois de juillet suivant, il fut de nouveau grièvement blessé dans une reconnaissance près de Tongres. Fait prisonnier sur le champ de bataille avec sept de ses camarades, il trouva cependant assez de forces pour s’enfuir dès le lendemain, après avoir désarmé ses

  1. C’est de ce recueil, dont le premier volume paraît dans quelques jours chez l’éditeur Calmann-Lévy, que M. le vicomte de Reiset a bien voulu nous autoriser à extraire les pages qui suivent.