toujours, épouvantable et menaçante. Devant elle, il me semble que mon corps et mon cerveau se rétrécissent, que je redeviens un tout petit enfant, pareil à ceux qui appellent leur mère la nuit, quand ils ont peur. Dans cette détresse de mon esprit, que vient traverser le plus précieux des souvenirs, inconsciemment me reviennent aux lèvres les paroles de prière que je disais autrefois. Et voilà que, comme sous l’intluence des mots à la vertu desquels j’ai cru jadis, l’idée de folie cesse de m’étreindre et s’éloigne insensiblement… Quand ma tête s’est calmée, la chaleur de mon sang et l’oppression m’incommodent tellement, que je sens le besoin d’une réaction immédiate. Faute de médicamens, j’imagine de me faire poser des ventouses, que Su-Ling applique au moyen d’un verre et pique ensuite avec son couteau de cuisine, pour faire saigner un peu. Je me trouve aussitôt très soulagé et je me recouche, ayant donné l’ordre de rentrer à Pnom-Penh, sachant y trouver un médecin. Hélas ! le voyage était fini, car il fallut redescendre bien vite à Saïgon où la fièvre et le délire reprirent possession de moi.
Lorsque je fus sorti de ces mauvais momens, je me rappelai que, le jour où nous nous trouvions à Phnom-Penh, après le déjeuner, je m’étais installé à l’ombre, le Ramayana à la main. Le poème du divin Valmiki est très beau, mais il a cinquante mille vers ; de plus, j’étais fatigué, il faisait une chaleur écrasante, et, pour toutes ces raisons, je m’étais endormi. Je fus réveillé assez tard par mon Chinois qui revenait du marché ; je remarquai avec inquiétude que j’avais la tête nue et exposée au soleil. Mais, lorsque j’en parlai à Su-Ling, jamais il ne voulut admettre que ma maladie pût être attribuée à une insolation. Pour lui, c’était, à n’en pas douter, l’Apsara ravie à la pagode d’Angkor-Wat qui m’avait poursuivi de sa colère céleste…