qui reflète les astres du ciel comme un miroir de métal. Des bords de la rivière, monte une brume légère, la terrible rosée de la saison sèche, féconde en fièvres et en dysenteries. La redoutable fraîcheur n’en paraît pas moins exquise après les ardeurs de cette journée passée dans une ville, et ma pensée, bercée par le battement monotone de l’hélice, se perd dans les lointains passés de l’Asie, berceau de notre race et de toutes les races, de notre religion et de toutes les religions. Asie ! terre de Sem, de Cham et de Japhet, patrie des auteurs inconnus des Veddas, de Manou, de Moïse, de Zoroastre, de Confucius, de Bouddha, du Christ et de Mahomet ! Asie, dont les traditions remontent dans les plus reculés des temps, retraçant historiquement les commencemens du monde chinois jusqu’à cinq ou six millénaires en arrière de nous, et se perdant dans de peut-être plus insondables profondeurs d’antiquité avec les Veddas, sans parler de la Bible ! Ô vraiment mystérieuse Asie, qui as vu l’homme à son apparition sur les chemins de ce monde, et qui en as conservé les traces !…
Tandis que je songeais ainsi, une chaleur inexplicable et que je devinais dangereuse, m’avait envahi. En même temps, mes artères se mettaient à battre à coups secs, précipités. Je me couche, espérant que l’accès de fièvre aura disparu le lendemain matin, et je m’endors péniblement. Au bout de peu de temps, je me réveille avec un sentiment d’angoisse : ma respiration est devenue courte et haletante, et ma tête est embarrassée de cauchemars. J’ai l’impression que je dois aller me jeter par-dessus le bord, dans la rivière, sans que je puisse comprendre pourquoi. Je me rends seulement compte que cette idée va devenir impérieuse et que le peu de volonté avec quoi je lutte encore finira par s’éteindre. Avant qu’il soit trop tard, je commande à Su-Ling de m’enfermer à clef dans la cabine placée sur le pont et je m’allonge de nouveau, essayant d’écarter les voiles noirs qui m’enserrent.
Pour ne pas plonger dans le délire, pour rester dans le domaine de la réalité, je tâche de m’accrocher à des raisonnemens très simples, à des souvenirs précis de choses pas compliquées. Cependant l’idée qui me persécute ne cède pas ; on dirait maintenant qu’elle a pris une forme apparente, une personnalité de fantôme qui me poursuivrait. Pour essayer de m’en distraire, je veux m’appliquer à compter attentivement, un, deux, trois, quatre… jusqu’à des centaines et des centaines. Mais, malgré mes efforts pour empêcher ma raison de sombrer, l’idée d’obsession grandit