À la longue, la mélancolie de ces merveilles dévastées finissait par vous attrister ; aussi, l’obsession vous venait de l’éternelle voûte de verdure sous laquelle on cheminait tout le jour, pour voir surgir de temps à autre quelque nouvelle ruine, enserrée dans les replis de la forêt qui a tout recouvert. Et vainement l’imagination cherchait à faire revivre le souvenir des grandioses cérémonies et des resplendissans cortèges figurés sur les bas-reliefs : l’on ne rencontre guère parmi ces solitudes que de rares bonzes ou de pauvres Siamois qui viennent mettre le feu au pied des grands arbres « à huile » afin de recueillir la résine dont ils se servent pour enduire leurs barques et pour tremper leurs torches.
À la tombée du jour, on rentrait à la sala d’Angkor-Wat, heureux de respirer au milieu d’un peu d’étendue découverte, fermée, au fond, par la prodigieuse silhouette de la pagode royale. Après le dîner, c’était une promenade dans le temple, à la lueur des torches, ou bien, plus saisissante, à la seule clarté de la lune. D’autres fois, une visite chez les bonzes où les jeunes gens, la dernière prière dite, se mettaient à faire de la musique siamoise. Deux instrumens bizarres, un demi-cercle en bois portant douze cymbales formant la gamme, et une sorte de petit bateau garni intérieurement de lattes de bambou suspendues par des fils, accompagnaient, ainsi qu’un tambour long et sourd, une espèce de flageolet qui chantait des airs doux et sautillans, indéfiniment répétés. Une fois en train, l’orchestre ne s’arrêtait pas facilement, et j’étais couché depuis longtemps que, dans le silence de la nuit parfumée, la cantilène s’égrenait toujours, soutenue par le ronflement des cymbales et des lattes de bambou ; et, en en parlant, il me semble que je l’entends encore, la naïve petite musique des bonzes d’Angkor-Wat…
Le dernier soir, j’allai faire mes adieux aux religieux et leur porter mes cadeaux : du papier, des plumes, de l’encre et des crayons, choses précieuses dans ce désert où les bonzes sont obligés d’apprendre à écrire à leurs élèves comme jadis, sur des feuilles de palmier, avec un stylet dont on noircit la trace au moyen du noir de fumée. Il y avait aussi une surprise : j’avais apporté des feux de Bengale, et Compeng-Keo, suivant mes instructions, les avait fait placer aux principales ouvertures du monument ; les petits conducteurs de charrettes devaient y mettre le feu simultanément. Comme je quittais la case hospitalière des gardiens du