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poussée des sèves. De ses monumens, il reste seulement quatre temples et un palais ruinés, quelques débris de chaussées, des terrasses et des vestiges de srâs. De ses fastes, évanouis dans la mémoire des hommes, il ne subsiste que de confuses légendes et quelques inscriptions dont le déchiffrement commence à peine. Les traditions indigènes et le peu de documens que l’on a pu recueillir semblent indiquer qu’à une date encore indéterminée, des aventuriers hindous abordèrent sur les côtes du Cambodge et soumirent les tribus peu redoutables de la basse Indo-Chine. Si l’on s’en rapporte à l’histoire indienne, il est probable que cette émigration dut se produire à l’époque troublée qui suivit l’invasion d’Alexandre et vit la religion du Bouddha se substituer au brahmanisme, c’est-à-dire vers le IIIe siècle avant notre ère. Les arrivans, qui étaient sans doute des exilés de l’ancienne foi, convertirent les aborigènes au culte de Brahma et leur enseignèrent, l’art de la guerre. L’empire qu’ils fondèrent ainsi brilla d’un éclat incontestable jusqu’au XIIIe siècle, époque à laquelle il fut visite par un ambassadeur chinois dont le récit de voyage nous est parvenu. Il parle longuement de la ville d’Angkor-Thôm, de ses tours et de ses statues dorées, de ses temples remplis d’objets précieux, de ses vingt mille maisons et de la multitude de ses soldats. Plus tard, le royaume khmer, assailli par des voisins devenus puissans, l’Annam et le Siam, déchiré intérieurement par des révolutions de palais, s’éclipsa graduellement et, constamment refoulé vers le sud, se réduisit au petit État dégénéré que représente le Cambodge actuel. La seule certitude chronologique que nous possédions sur la civilisation khmère est que les monumens situés dans les environs du Tonlé-Sap, et tous marqués d’un caractère purement brahmanique, étaient achevés aux premiers siècles après J.-C, avant la conversion du pays à la loi de Çakya-Mouni, vers l’an 600.

Une demi-heure après le passage de la porte de la Victoire, le sentier que nous suivons s’élargit brusquement pour aboutir à une clairière récemment pratiquée dans le cœur de la forêt. En face de nous s’élève une montagne de blocs écroulés, hérissée d’arbres énormes. C’est ce qui fut le temple du Bayon, le plus beau et, probablement le plus ancien des sanctuaires d’Angkor-Thôm : aujourd’hui, un amas méconnaissable de murs éboulés, de galeries renversées, d’escaliers impraticables, de tours écrêtées, tordues, éventrées…