besoins de cette enfant et à ceux de sa vieille mère ; la vie de la pauvre petite n’est sauvée que par la découverte d’un trésor que les bons esprits ont placé là pour récompenser la vertueuse intention de ce père, que nous trouverions dénaturé. Cependant, le plus grand de tous les péchés contre la piété filiale, c’est de n’avoir pas de postérité mâle, parce que la famille s’éteint alors, que les ancêtres sont privés des sacrifices auxquels ils ont droit et que le premier devoir de tout homme est d’offrir régulièrement. Aussi se marie-t-on de très bonne heure, et l’absence de fils est-elle la plus grave des causes de répudiation de la femme. La doctrine de la piété filiale, telle que la conçoivent les Chinois, et le culte des ancêtres, qui en est la plus haute expression, ont leurs bons et nobles côtés ; ils en ont de mauvais aussi. Ils forment l’armature de ce système de stérile admiration d’un passé où tout est censé avoir été meilleur qu’aujourd’hui, qui hypnotise le Céleste Empire, le détourne de l’avenir et rend tout progrès impossible, parce que ce serait non seulement un changement gênant, mais un outrage à la mémoire des aïeux, c’est-à-dire une impiété.
Si elle produit des conséquences sociales fâcheuses, cette doctrine organise en revanche très fortement la famille ; mais, ici encore, existent bien des maux cachés, surtout en ce qui concerne la destinée de la femme. La condition des Chinoises a fait l’objet ici même d’une étude approfondie de la part d’un homme particulièrement compétent[1] ; elle n’est assurément pas heureuse ; logeant avec leurs maris chez leurs beaux-parens, n’allant plus voir leur propre famille qu’aux époques fixées par la coutume, les femmes ont à subir durant toute leur jeunesse les caprices et les rebuffades d’une belle-mère acariâtre, qui est le tyran de la maison et dont elles sont les servantes ; elles jouissent cependant d’une assez grande liberté, ne sont ni cloîtrées, ni voilées, mais s’écartent rarement beaucoup de la maison. Leurs mœurs seraient loin d’être irréprochables. « Dans le district voisin du mien, me disait un missionnaire américain du Fokien, il n’y a presque pas de mari qui ne soit trompé, et, dans le mien, beaucoup le sont aussi. » En théorie, cependant, l’adultère de la femme est un crime grave. Quant au mari, il n’est nullement tenu à la fidélité. L’esprit porté aux idées obscènes, voyant le mal partout pour peu que les apparences y prêtent, aimant les propos épicés, paillards et souvent
- ↑ Voyez, dans la Revue du 1er mai 1897, la Femme chinoise, par M. Maurice Courant.