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les héros à la vigueur infinie, les fils d’Aditi battirent les enfans de Diti[1]… »

Danseuses et courtisanes de l’empyrée, les Apsaras devinrent les femmes des demi-dieux Gandharwas. De ce croisement naquit la race des singes qui aidèrent Rama à retrouver la belle Sita, son épouse, que lui avaient ravie les démons de l’île de Lanka (Ceylan).

Parfois les Apsaras descendirent sur la terre pour séduire des humains. Viçvamitra, le maître de Rama, succomba aux artifices de l’une d’elles, la charmante Ménaka. Il dut expier sa faiblesse par mille années de pénitence. Aussi, quand une autre Apsara, l’éblouissante Rhambhà, vint pour le tenter une seconde fois, Viçvamitra la changea impitoyablement en roc stérile.

Cette vieille histoire, où l’on retrouve les mythes les plus anciens de la race aryenne, fut jadis contée par Valmiki, l’ermite très saint. C’est lui qui transcrivit l’épopée sacrée du Ramayana en 25 000 distiques ou slokas. Il passait pour l’inventeur de ce mètre, et Brahma le lui avait lui-même inspiré.

Toute la décoration d’Angkor-Wat est inspirée du Ramayana. Le plus parfait des bas-reliefs de la pagode représente le barattement de la mer de lait ; il occupe un des huit panneaux de cinquante mètres de long qui ornent la galerie rectangulaire du premier gradin.

Les Apsaras sont figurées partout, du haut en bas de l’immense construction, le long des pans de murailles, au pied des colonnes monolithes, aux tympans des portes et des ressauts de la toiture, et jusque sur les cordons de fines moulures qui courent autour des soubassemens. Sculptées en demi-relief, les bayadères célestes sont toujours présentées de face, le buste nu jusqu’au-dessous du nombril. Les seins ont un galbe très pur. La figure est ronde, les yeux sont baissés ; la bouche large, aux lèvres épaisses, dessine un sourire contenu, mystique. Les jambes sont bien dessinées, les mollets un peu grêles. Aux pieds, les artistes khmers ont été arrêtés par la difficulté de rendre un raccourci : ils ont naïvement profilé les deux pieds de travers et dans le même sens, les cinq doigts étalés horizontalement avec l’orteil bien détaché, de telle sorte que ces belles filles semblent estropiées par en bas, avec des pieds énormes… Un des bras est gracieusement coudé

  1. Voyez dans la Revue du 15 septembre 1847, J.-J. Ampère, Le Ramayana, et L.-M. de Carné, Les Ruines d’Angcor dans la Revue du 1er  mars 1869.