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Au fond de l’avenue, qui est très longue, trois dômes pointus qui ne paraissent pas très élevés : c’est tout ce que l’on voit du grand temple, le reste se confond avec les masses de verdure.

À mi-distance, nous rencontrons les charrettes, dételées des deux côtés de la route. À gauche, est une sala à plusieurs compartimens, qui appartient aux bonzes et sert à loger les pèlerins. Les animaux ont été parqués sous la maison, où, suivant l’habitude, on a fait de grosses fumées pour éloigner les moustiques. Naturellement la fumée passe à travers les lattes de bambou qui servent de plancher, et les habitans du premier étage se trouvent enfumés comme de simples buffles. Je crois que j’aimerais mieux les moustiques, d’autant plus qu’il y en a tout de même ; mais on ne m’a pas demandé mon avis, non plus qu’aux buffles, et puis c’est ainsi que cela se fait toujours…

Mon domestique chinois, le fidèle Su-Ling, a trouvé dans Compeng-Keo et dans ses acolytes des auxiliaires précieux. Pendant que mon conducteur de charrette m’inonde de seaux d’eau des mares qui font tomber la poussière du chemin, on a tout déballé. Les fourneaux annamites portatifs sont installés, et il y a déjà des marmites sur le feu, Le couvert est dressé sur une table prise je ne sais où, — il paraît qu’elle vient de Phnom-Penh ; — il y a même des chaises, une nappe et des hors-d’œuvre. Su-Ling a mis une coquetterie toute particulière à justifier ma confiance. La veille du départ de Saigon, je lui avais donné ces ordres sommaires : « Demain partie brousse pour quinze jours, tout emporter. Y en a case, y en a pas lit, rien pour boire, rien pour manger, y en a pas marchand. » Et, à minuit, propre et sa queue nattée de frais, mon Chinois nous servait une soupe à l’oignon qui embaumait la sala d’Angkor-Wat. Je ne dirai pas ce qu’il nous donna ensuite : j’avais honte de ce repas, servi trop correctement et avec tant de choses, en face des ruines ; cependant je suis obligé de convenir que Su-Ling n’avait rien préparé de trop ; tout fut dévoré, avec l’aide des petits conducteurs rangés autour de nous, les jambes croisées, dans une attitude discrète et familière, riant, fumant et mâchant le bétel.


III. — LES APSARAS

« C’était au temps de l’âge appelé Kuta. Il y avait les fils de Diti et les fils d’Aditi, doués d’une vigueur sans pareille et enivrés de leur force et de leur courage.