capitales multiples forment le pendant de ces suicides individuels.
On peut s’étonner qu’avec une pareille indifférence à la mort, les Chinois fassent de si mauvais soldats ; mais, si peu qu’on tienne à la vie, on ne la sacrifie qu’à une chose à laquelle on tient davantage. Or, si les Célestes se soucient peu de l’existence, le salut et la grandeur de la patrie ne leur importent eu aucune façon ; la notion même de patrie leur est étrangère, et c’est pourquoi ils ne font pas à leur pays même ce léger sacrifice de leur vie. Dans notre campagne de Formose, on a vu des prisonniers chinois se refuser à des besognes qu’ils considéraient comme au-dessous d’eux et dont on ne put obtenir l’accomplissement nécessaire qu’après avoir fait tomber plusieurs têtes ; mais ces mêmes gens, qui aimaient mieux perdre l’existence que de « perdre la face, » avaient fui en jetant leurs armes à l’heure de la bataille. Il faut ajouter que ce sont toujours les mandarins militaires, les officiers qui donnent le signal du sauve-qui-peut. Commandés par d’autres hommes et bien dressés, il n’est pas douteux que des soldats chinois, aussi résistans aux privations qu’insoucieux de la mort, ne pussent constituer d’excellentes armées ; incapables de défendre la Chine contre les entreprises des puissances étrangères, ils pourraient concourir un jour à augmenter singulièrement la puissance militaire de telle d’entre elles.
La pratique si répandue de l’infanticide, de l’infanticide des filles surtout, est encore un exemple de la conception différente que les Chinois et les Européens ont du respect de la vie humaine et des liens de famille. En Occident, l’amour des parens pour leurs enfans est, sans vouloir médire de ceux-ci, souvent plus grand que celui des enfans pour leurs parens. En Chine, c’est le contraire qui est vrai de la manière la plus marquée. La piété filiale est, aux yeux de Confucius, la première d’entre les vertus ou, pour mieux dire, le fondement de toutes les autres, et c’est peut-être celle que ses compatriotes pratiquent le mieux.
Chez le peuple, la piété filiale se borne à peu près à l’entretien des parens, mais il est presque sans exemple qu’on néglige ce devoir. L’un des manquemens principaux à cette vertu est un « attachement égoïste à sa femme et à ses enfans, » et, parmi les vingt-quatre exemples classiques de piété filiale, se trouve le cas d’un homme, contemporain de la dynastie des Han, qui est au moment d’enterrer vivante sa fille de trois ans, parce que ses moyens ne lui permettent pas de subvenir à la fois aux