Il est quatre heures et demie du matin. Nous traversons les grands lacs du Tonlé-Sap, qui s’étendent entre le Cambodge et le Siam. Enveloppés d’une brume légère que blanchit le mince croissant d’une lune à son déclin, il semble que nous glissions sur une glace d’argent mat. Le taïkon, le pilote indigène qui gouverne notre petit vapeur, doit posséder ce sens particulier de l’orientation qui ramène le pigeon voyageur au colombier ; il ne connaît pas la boussole, la terre demeure invisible derrière les voiles de l’horizon, et ce ne sont pas non plus les étoiles qui dirigent sa route : il ne les regarde même pas. Je voudrais lui demander s’il a des points de repère pour se guider, mais il ne me comprend pas ; il étend seulement le bras en prononçant le nom de Siem-Reap, la petite ville siamoise près de laquelle nous devons aborder.
Une heure plus tard, l’Orient s’éclaire tout à coup d’une lueur qui grandit très vite : et, presque sans aurore, paraît un énorme soleil jaune. Les brouillards de la nuit s’effilent on traînées laiteuses, pareilles à de grandes toiles d’araignées ; la surface du lac reprend sa couleur bourbeuse. Devant nous se dessine la ligne sombre d’une rive très basse et, plus loin, surgit un monticule tout rose, — le Crom-Phnom, une des montagnes sacrées d’Angkor.
Là est le pays de mystère, au nom sonore, qui m’attire depuis tant d’années ; — depuis quelques photographies jaunies que, tout enfant, j’avais vues chez un des derniers survivans de la mission