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influence pour que l’Allemagne se tienne tranquille et vous laisse faire. Cette attitude expectante de la Russie suffira pour imposer la neutralité à la Confédération. »

Le comte de Cavour se plaisait à ne pas mettre en doute les assurances du frère d’Alexandre II ; elles continuaient ses entretiens avec la grande-duchesse Hélène à Baden, ce que l’Empereur lui avait confié de l’entrevue de Stuttgart, et ce qu’il savait de l’animosité du prince Gortschakof contre l’Autriche. Aussi, dans toutes ses correspondances, escomptait-il le concours de la Russie ; ce qu’il disait au comte de Launay, il le répétait, en l’amplifiant, au marquis de Villamarina. « Le grand-duc Constantin, lui écrivait-il, m’a répété sur tous les tons que son frère prenait le plus vif intérêt à la Sardaigne et à la cause italienne ; qu’il s’attendait parfaitement à une guerre contre l’Autriche ; que, dans ce cas, la Russie nous manifesterait un dévouement sympathique et userait de toute son influence pour empêcher l’Allemagne d’y participer. Mais il a ajouté que le moment n’était pas venu pour la Russie de tirer l’épée. J’ai manifesté de l’incrédulité et observé que, si la guerre éclatait en Italie, elle aurait des contre-coups en Orient et dans d’autres contrées limitrophes. Il m’a dit qu’il n’en doutait pas, que tout paraissait préparé en Hongrie pour un soulèvement. Je n’ai pas insisté, disant seulement qu’il serait difficile que la Russie restât chez elle, si tous les pays qui l’entourent étaient en feu. »

Le comte de Cavour se trompait étrangement en s’imaginant que la Russie souhaitait une conflagration générale et qu’oublieuse de la Pologne et de ses intérêts conservateurs, elle ferait cause commune avec la France et la Sardaigne, engagées dans une guerre révolutionnaire. Elle devait lui prouver, aussitôt les hostilités ouvertes, combien elle réprouvait ses menées en Hongrie, sur le Danube et dans les Balkans. Mais, au mois de septembre, les relations du cabinet de Pétersbourg avec la cour de Turin étaient sur le pied de la plus parfaite cordialité. M. de Cavour n’avait rien négligé pour s’assurer ses bonnes grâces ; il était allé jusqu’à lui concéder un entrepôt pour ses charbons et ses approvisionnemens maritimes dans la rade de Villefranche. Cette concession, qui facilitait à la Russie les moyens de se ravitailler dans la Méditerranée, ne laissa pas l’Angleterre indifférente. Mais elle en fut pour ses remontrances ; M. de Cavour ne lui pardonnait pas de lui avoir fausse compagnie dans ses démêlés avec