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leur révéla pas son secret, il leur laissa entendre, par des paroles ambiguës, par ses allures conquérantes, que son heure était venue. Il provoqua leurs confidences pour s’assurer si, dans l’éventualité d’une guerre contre l’Autriche, on pourrait, comme l’affirmait Napoléon III, compter réellement sur le concours de la Russie et la neutralité de la Prusse. Il était de ceux qui ne sont convaincus que lorsqu’ils ont vu et entendu.

Sa plume ne chôma pas. En feuilletant les six volumes de sa correspondance, on trouve sur son odyssée, à côté de regrettables lacunes, de très précieux renseignemens. Sa première épître est écrite au sortir de ses entretiens avec Napoléon III ; elle est adressée au ministre sarde à Paris, le marquis de Villamarina[1]. C’est une lettre destinée à être lue, car il l’expédie par la poste. Aussi parle-t-il avec emphase des bontés dont il a été comblé et des promesses qu’il a recueillies : « L’Empereur, dit-il, m’a promis de ne jamais m’abandonner. » Il ne souffle mot de Baden ; il prétend, au contraire, que son itinéraire n’est pas encore arrêté. Il craint évidemment d’effaroucher l’Empereur en lui apprenant que, sous l’impression encore chaude de ses confidences, il a voulu attirer sur lui les regards de la diplomatie européenne dans une ville d’eaux éminemment cosmopolite. Mais son parti est pris : sa tactique sera désormais de compromettre son allié pour l’empêcher de reculer. À peine a-t-il paru dans la vallée d’Oos, que des télégrammes annoncent à toute l’Europe son voyage à Plombières et que ses journaux font ressortir l’importance de ses pourparlers avec Napoléon III. « La présence du comte de Cavour à Plombières, dit l’Opinione, est le grand événement du jour. Les organes autrichiens ne s’y trompent pas ; ils en sont terrifiés. ils essayent, il est vrai, d’en atténuer la signification ; vains efforts ! Sans vouloir pénétrer les mystères de l’entrevue, il est permis de considérer le voyage de M. de Cavour, entrepris sur l’invitation formelle de Napoléon III, comme une réponse catégorique faite à la diplomatie autrichienne, qui avait cru devoir demander des explications sur la publication des papiers d’Orsini par la Gazette piémontaise. L’entrevue prouve

  1. « Je viens de passer à peu près huit heures en tête à tête avec l’Empereur, dit-il au marquis de Villamarina. Il a été aussi aimable que possible, il m’a témoigné pour le Piémont et l’Italie le plus vif intérêt ; il m’a donné l’assurance qu’il ne m’abandonnerait jamais. Je reprends le chemin du Lukmanier, je n’ai pas encore arrêté mon itinéraire, mais j’ai donné rendez-vous à des intimes à Coire pour le 25 de ce mois. Votre fils m’a été d’une grande utilité. »