considérée comme une chose utile et louable dans tous les pays policés, mais ce qui distingue les contrées où règne la civilisation occidentale de celles qui ont adopté la civilisation chinoise, c’est que, dans ces dernières, les convenances, — et quelles minutieuses et compliquées convenances ! — priment tout, qu’il faut avant tout les sauvegarder, et cela aux yeux de toutes les classes de la population. De ce respect excessif de la forme à la conception que tout est permis pourvu qu’elle soit observée, il n’y a qu’un pas, et c’est ce qui explique qu’entre les apparences et le fond, entre la théorie et la pratique des choses, il y ait en Chine une différence infiniment plus grande que partout ailleurs, un véritable abîme. Qu’il en ait ou non toujours été ainsi, la morale de Confucius n’est plus depuis longtemps qu’un code d’étiquette ; la vertu consiste à observer la lettre des trois cents règles de cérémonie et des trois mille règles de conduite, sans se préoccuper de l’esprit qui a pu les animer ; elle se confond avec une politesse compliquée.
C’est dans le système de gouvernement de la Chine que le gouffre qui sépare l’application de la théorie apparaît jusqu’au fond. En principe, l’empereur est le « père et la mère » de ses sujets, et c’est aussi de ce nom de « père et mère » qu’on salue, en maint document officiel et en bien des pétitions, les mandarins qui administrent les provinces et les districts de l’Empire. En fait, comme le dit, sans sévérité exagérée, M. Henry Norman, « tout fonctionnaire chinois, sauf un cas d’exception possible sur mille, est un menteur, un voleur et un tyran. » Les exemples de toute sorte en fourmillent, et le célèbre Li-Hung-Chang ne figure assurément pas parmi les rares exceptions à la corruption universelle ; s’il a dû dégorger une grande partie de l’immense fortune qu’il s’était faite, — cinq cents millions, dit-on, — pour sauver sa tête pendant la guerre sino-japonaise, où il lui fallut acheter bien des dignitaires de la cour, eunuques et autres, les questions d’argent n’en continuent pas moins à conserver pour lui une importance de premier ordre. J’eus l’honneur, pendant mon séjour à Pékin, de dîner à la légation de France avec ce haut personnage, à l’occasion de la venue de l’amiral commandant la division d’Extrême-Orient et de plusieurs officiers de son état-major. Li, conversant par l’intermédiaire d’un interprète, nommé Ma, auquel il s’adressait en patois du Fokien, sa province natale, — il parle, paraît-il, fort mal le mandarin, — faisait aux convives