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l’admettent beaucoup de ceux qui connaissent le mieux la Chine, et l’ont le plus étudiée, qu’il est impossible à un Européen de bien comprendre ce caractère ? son organisation mentale est différente de celle des Célestes, il ne raisonne pas de même ; ce qui lui paraît inconciliable ne l’est pas pour eux. Cependant, sans essayer de faire un catalogue complet et forcément erroné des vertus et des vices des Chinois, on peut chercher à marquer quelques-uns d’entre eux et tout au moins ceux qui les distinguent le plus de nous.


II

En tête des traits caractéristiques des Chinois, l’auteur d’un des livres[1] qui donnent du Céleste Empire l’impression la plus vivante, un missionnaire américain qui y a séjourné vingt-deux ans, met la « face. » Sauver la « face » est bien la préoccupation qui, en ce pays, domine toutes les autres, et l’importance de cette « face » donne la clef d’une infinité de faits incompréhensibles au premier abord. La face, c’est la forme substituée au fond. Tout Chinois se considère comme un acteur dont les dires, les faits et les gestes en public n’ont rien de commun avec la réalité. L’action la plus innocente, la plus louable même, si elle n’est pas faite suivant certaines formes, couvrira de honte son auteur. Une faute a-t-elle été commise par quelqu’un, le coupable devra d’abord la nier effrontément en dépit de l’évidence la plus certaine, et ne jamais avouer sa culpabilité même en la réparant, s’il est obligé de le faire. Des plus humbles aux plus haut placés, les Chinois ont le même respect de la face : le boy pris sur le fait, au moment où il glisse dans sa manche un objet pour le voler, se baissera, feindra de le ramasser et le tendra à son maître en disant : « Voici ce que vous aviez perdu ; » tout comme l’empereur Hien-Feng, fuyant sa capitale devant l’armée anglo-française, prétextait une partie de chasse, ou comme, il y a un siècle, les mandarins chargés de conduire vers le Fils du Ciel l’ambassadeur anglais Macartney profitaient de son ignorance de leur langue pour inscrire sur la voiture qui le portait : « Ambassadeur apportant le tribut du royaume d’Angleterre, » ménageant ainsi la fiction de la souveraineté universelle de leur maître.

Sans doute l’observation de certaines convenances est

  1. Chinese Characteristics, par Arthur H. Smith ; Fleming, H. Réveil Company, éditeurs. New-York, Chicago et Toronto.