Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Çakya-mouni exerçât une influence sensible sur son caractère, sur sa conception de l’existence et sur sa morale. Celle-ci est restée telle que l’avaient faite Confucius et les autres vieux sages nationaux, ou plutôt telle qu’ils l’avaient résumée ou exposée, car elle n’est pas le fruit des méditations d’un philosophe ou des inspirations d’un prophète, elle sort des entrailles mêmes de la race. Les institutions n’ont pas changé plus que les habitudes mentales et les règles des mœurs, sur lesquelles elles font d’ailleurs profession de se modeler, puisque le gouvernement de l’Empire est fondé en théorie sur les mêmes principes que celui de la famille : les hauts fonctionnaires ne sont-ils pas qualifiés souvent de « père et mère » de leurs administrés ? Les révolutions politiques n’ont pas eu plus de prise sur cet organisme immuable de l’État chinois que les révolutions religieuses n’en ont eu sur le caractère et les mœurs. Les diverses dynasties qui se sont succédé, qui se sont même, pendant quelques courts intervalles, partagé le territoire, l’ont à peine modifié ; lors même que des étrangers, Mongols au XIIIe siècle ou Mandchous de nos jours, sont montés sur le trône, ils l’ont laissé subsister en plaçant seulement à côté des grands mandarins quelques surveillans, comme le sont pour les vice-rois les maréchaux tartares d’aujourd’hui. On a comparé fort justement le gouvernement de cet Empire à un cube qui peut être renversé d’une face sur une autre, mais dont l’aspect reste immuable.

La Chine a toujours été gouvernée selon des maximes chinoises. Conquise par des maîtres étrangers, elle a rapidement absorbé ses barbares vainqueurs ; elle est toujours restée elle-même et c’est tout ce qu’elle veut : de l’avenir politique de la Chine en tant qu’État, de sa force ou de sa faiblesse, de son indépendance ou de sa sujétion, les Chinois ne se soucient nullement ; mais ils tiennent avant tout à conserver leurs habitudes et leurs mœurs, tous les caractères qui distinguent depuis si longtemps leur race. Par un singulier contraste, leurs voisins, les Japonais, uniquement soucieux de l’indépendance et de la grandeur du Japon, renonceraient sans hésiter à toute leur organisation sociale et religieuse, à leurs traditions les plus chères, s’ils croyaient qu’il dût en résulter un bénéfice pour la puissance de leur pays. Les Japonais se font donc du patriotisme une conception analogue à celle des Européens, les Chinois ont une sorte de patriotisme de race tout à fait différent, qui, se désintéressant de l’existence de