envisager, — et nous n’aurions pas pu le faire sans horreur, en songeant à tout ce que la civilisation y perdrait, — cette perspective ouvrait à l’imagination britannique des vues où elle s’engageait, au contraire, avec complaisance : peu à peu, elle s’y précipitait même avec ardeur. L’Angleterre ne songeait pas sans quelque enivrement à sa puissance maritime, qu’elle estime supérieure à toutes les autres. Le résultat de la guerre hispano-américaine devenait pour elle un exemple suggestif et tentateur. Elle ne tenait plus qu’un compte médiocre de différences pourtant appréciables. Le danger d’un coup de tête augmentait avec l’âpreté des convoitises. Certes, les traits de ce tableau ne s’appliquent pas à l’Angleterre tout entière, et nous aimons même à croire qu’ils ne s’y appliquent qu’à une minorité, mais les minorités violentes et sans scrupules ont trop souvent entraîné des majorités plus timides, et le spectacle de ce qui se passait chez nos voisins n’était certainement pas de nature à nous rassurer. Il ne devait pas non plus rassurer l’Europe. Si les conséquences de la guerre hispano-américaine ont échauffé à ce point les esprits britanniques, ordinairement plus calmes et plus rassis, on peut facilement pressentir ce qu’il adviendrait d’une nouvelle guerre, qui tournerait une fois de plus à l’avantage des Anglo-Saxons. Les journaux mêmes de la Triple Alliance ont fini par se préoccuper de cette éventualité. La presse anglaise dément aujourd’hui les projets qu’elle étalait hier avec une certaine emphase brutale. Nous savons ce que valent, en pareil cas, les aveux aussi bien que les démentis : cela dépend des circonstances ultérieures. Les Mémoires de M. de Bismarck sont, à ce point de vue, très instructifs. Le chancelier de l’Empire proteste avec indignation contre toute pensée d’avoir voulu nous faire la guerre en 1875, parce que finalement il ne l’a pas faite ; mais il confesse l’avoir voulue en 1870, parce qu’il a donné suite à son dessein et qu’il a réussi. La philosophie de l’histoire est toute rétrospective.
Ce qui rend notre situation difficile, c’est que, plus nous y songeons, moins il nous est facile de découvrir nos prétendus torts envers l’Angleterre. On a beaucoup parlé de coups d’épingle, parce qu’on ne pouvait parler de coups plus graves. Le mot a même fait fortune, mais il manque de précision. Nous voudrions pourtant bien savoir ce qu’on nous reproche, ou plutôt ce qu’on nous veut : désir bien naturel. Quand nous cherchons d’où peut venir, entre Londres et Paris, un désaccord susceptible d’avoir des suites militaires, nous ne trouvons rien du tout : il faut donc qu’on prenne la peine de nous éclairer. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait jusqu’ici ? Pourquoi a-t-on laissé naître en