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l’amitié de Gœthe, ni les relations mondaines, ni la gloire n’avaient ou te pouvoir de le « civiliser. » Et c’est encore un des mérites des lettres qui vient de publier l’Atlantic Monthly de nous montrer combien, d’un bout à l’autre de sa longue vie, il s’est maintenu en étroite communion de pensée et de sentiment avec le milieu rustique où il était né. Sa famille lui apparaissait comme un clan dont il était le chef : et, infatigable à remplir les devoirs que cette charge lui imposait, il entendait aussi en exercer les droits. Ce n’était point par égoïsme, ni par goût du commandement, ni moins encore par cruauté qu’il ordonnait à sa femme de laver lies planchers, mais simplement, comme le dit Mme Arvède Barine, parce qu’il « l’avait toujours vu faire à sa mère et à ses sœurs. » L’idée ne Ira venait pas qu’on pût vivre une autre vie que celle que vivaient ces personnes qu’il aimait ; et lui-même, d’ailleurs, avait pris soin d’en avertir sa femme, avant le mariage : « C’est l’homme qui doit faire la loi dans la maison, non la femme ; ainsi le veut la loi éternelle de la nature, une loi que nul mortel ne saurait enfreindre sans être puni. » La pauvre miss Jeanne Welsh aura cru, peut-être, qu’il plaisantait : et, dans ce cas, on comprend que la désillusion lui ail été cruelle. Mais comme « Il eût mieux fait de laisser à d’autres le soin de l’en plaindre ! Comme nous aurions été heureux de pouvoir nous en rapporter, sur elle, au jugement de son mari, nous la représentant comme une stoïcienne, et déplorant de n’avoir pas su apprécier plus tôt le « brillant soleil » qu’elle était pour lui !


En même temps que paraissaient, dans l’Atlantic Monthly, ces lettres de Carlyle, un neveu du grand écrivain écossais publiait à Londres un gros ouvrage de son oncle qui, jusqu’à présent, était resté médit. Sous le titre de Esquisses historiques touchant des "personnages et des événemens remarquables des règnes de Jacques Ier et de Charles Ier[1] ; ce sont des scènes et des portraits que Carlyle destinait d’abord à former un ensemble, « dans la manière de l’Allemagne de Mme de Staël. » Le projet fut ensuite abandonné, Carlyle ayant concentré toute son attention sur le héros Cromwell ; mais ces Esquisses n’en demeurent pas moins une œuvre des plus curieuses, surtout pour l’étude des procédés de composition et de style du poète-historien. J’espère pouvoir, bientôt, en parler plus à loisir.


T. DE WYZEWA.

  1. Historical Sketches on notable persons and events in the reign of James I and Charles I. Un vol. in-8, Chapman and Hall.