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Sa sollicitude pour sa femme n’était pas moins vive, à en juger par ces lettres. Pas une fois il n’oubliait de parler d’elle à sa mère et à sa sœur ; il en parlait en des termes d’une tendresse inquiète, dévouée, presque paternelle. « Ma pauvre chère femme n’arrive pas à se consoler de la mort de sa mère, écrivait-il le 4 juin 1842 : toujours silencieuse, pâle, abattue, et très faible. Je la force à se distraire autant que possible : sa joyeuse petite cousine, elle aussi, fait ce qu’elle peut. Hélas ! c’est une peine bien profonde : nous n’avons, chacun de nous, qu’une seule mère à perdre ! » Dans une autre lettre, du 12 juillet 1845 : « Jeanne va à Liverpool passer quinze jours chez son oncle. J’aurais aimé qu’elle allât en Écosse, pour voir ses amis de Haddington : mais je vois que ce projet ne lui sourit pas. Elle n’est pas très forte, et elle a bien des tristesses en plus des miennes, la pauvre chère petite créature, étant bien isolée au monde depuis la mort de sa mère. »

Et il n’y a pas jusqu’à ses domestiques, les femmes de chambre et les cuisinières de Cheyne Row, dont le sort ne préoccupe constamment ce singulier égoïste. « Notre pauvre Anne Cook a été très malade, écrit-il à sa sœur : mais, Dieu merci, la brave fille est de nouveau sur ses pieds. » Plus tard c’est une certaine Hélène Mitchell qu’il recueille chez lui, une malheureuse qu’il espère guérir de sa passion pour l’alcool, et qui, onze ans après, retombe décidément dans son terrible vice. « Sa fin fut triste, raconte Carlyle, et comme un mauvais jeu de la fatalité. »


Tel était Carlyle dans ses relations avec les siens : et l’on peut s’étonner, après cela, de la réputation d’égoïsme féroce qui reste, obstinément, attachée à sa mémoire. Ou plutôt on pourrait s’en étonner si l’on ne connaissait pas la principale, l’unique source d’où est venue à Carlyle cette réputation. Elle lui est venue d’un ennemi qu’il avait à son foyer même, qu’il aimait et respectait, et qui, pendant quarante ans, en secret, avec une ténacité impitoyable, a travaillé à le mettre en accusation devant la postérité. De ce réquisitoire de Mrs Carlyle contre son mari, Mme Arvède Barine nous a donné naguère le résumé le plus complet et le plus vivant[1]. Mais elle l’a fait au moment où venaient de paraître le Journal et les Lettres de Jeanne Welsh Carlyle : et une foule de témoignages nouveaux ont été publiés depuis lors qui, sans contredire le témoignage de ces Lettres et de ce Journal, en ont

  1. Voyez la Revue du 15 octobre 1884.