Noces et d’un adolescent moins pâle, moins austère que celui-ci, qui, tout de bleu vêtu, chantait la romance à Madame. Rappelez-vous même Don Juan, où la mort passe, mais ne fait que passer ; Don Juan, malgré tout, et jusque dans le cimetière, vivant, insouciant et joyeux. Mais il est un chef-d’œuvre de Mozart, d’où Fidelio pourrait bien venir : c’est la Flûte enchantée, le dernier opéra du maître, et le premier où quelque chose de l’âme allemande se soit révélé. Quelque chose de simple, d’ingénu et de populaire, au sens le plus profond du mot. Je songe au célèbre duo de Papageno et de Pamina, duo d’amour ou plutôt dialogue exquis sur l’amour et sa douceur. La musique en est divine et pourtant presque familière. J’allais écrire familiale, car elle est cela aussi. Musique d’infinie tendresse et de pureté infinie. « Nichts edlers sei als Weib und Mann. Rien de plus noble, dit le texte, que l’homme et la femme unis ensemble. » Mais la musique chante : que l’épouse et que l’époux. Voilà peut-être l’origine et comme le premier trait, à peine sensible, de Fidelio. Voilà le sentiment que Beethoven devait étendre, exalter, porter jusqu’à la passion et à l’héroïsme. Encore une fois, nous sommes loin d’Orphée et d’Alceste : sur des hauteurs égales sans doute, mais pourtant différentes, devant un drame non plus royal et presque divin, mais bourgeois. Je me hâte d’ajouter qu’il n’en est pas moins sublime. La vertu de la femme de Florestan est pareille à celle de l’épouse d’Admète, et si l’opéra de Gluck est le chef-d’œuvre antique de la foi conjugale, l’opéra de Beethoven en est le chef-d’œuvre allemand.
Enfin, nous voyons surabonder en Fidelio ce que tout à l’heure nous n’avons pas trouvé dans Carmen : le caractère ou le sentiment de l’universel et de l’infini. Guyau a très bien dit : « Ce qui ne signifie et ne représente pas autre chose que soi-même n’est pas vraiment poétique. » Entendez que cela n’est pas vraiment, supérieurement beau. Or l’œuvre de Beethoven signifie beaucoup plus que soi-même. Partout la musique y dépasse, y déborde les faits et les personnages. La grande artiste qui chante Léonore a refusé, dit-on, quoique Fidelio se passe en Andalousie, de revêtir le costume espagnol. Elle a eu raison. Elle a compris que Léonore est en dehors, au-dessus de toute vérité particulière et locale, qu’elle est non seulement une héroïne, mais l’héroïsme même. Beethoven a été le musicien par excellence de la passion pure et du sentiment en soi. Fût-ce une seule fois, il n’a pas pu enfermer son génie en des figures humaines ; un tel créateur a créé, malgré lui, plus que ses créatures. Lorsque Rocco le geôlier se plaint d’un maître rigoureux, n’est-ce pas de notre maître à tous, à nous tous