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les voix de la nature ou de la forêt et dont Beethoven a fait des voix humaines. Quand j’entends Florestan captif, son chant, qui répond à celui du hautbois, me paraît y répondre avec trop de rudesse pour ne pas dire de brutalité. Il étouffe, il écrase de ses notes pesantes la mélodie ailée, presque divine, que poursuit le frêle instrument, ravi dans un rêve d’espérance et d’amour. À chaque instant le centre ou le sommet de la beauté musicale se trouve ainsi dans l’orchestre de Fidelio. Ce qui s’entend et ce qui se retient du chœur des prisonniers, ce n’est pas le chœur même : ce sont les accords vraiment libérateurs qui le préparent ; c’est le thème sinueux et montant des bassons, l’aspiration d’abord timide, puis de plus en plus puissante et profonde, d’un air libre et pur. Pendant le duo de Léonore et du geôlier (non celui du cachot, mais celui du préau), la mélodie, ici vraiment continue, infinie, se déroule et se traîne dans l’orchestre, où elle se heurte et se blesse à toutes les aspérités des dissonances et des intervalles chromatiques. L’horreur de la prison est plus terrible et plus tragique peut-être dans le prélude instrumental que dans la plainte même du prisonnier. Enfin s’il y a dans Fidelio une page, une seule, où l’orchestre soit tout, où la voix ne soit rien et ne puisse rien être, c’est l’air, magnifique autant qu’inchantable, de Pizarre, au début du second acte. Ici plus que partout ailleurs, l’idée, comme partout ailleurs mélodique, s’est présentée, imposée à Beethoven sous la forme instrumentale. Il l’a non seulement acceptée, mais subie, parce qu’elle était juste, parce qu’elle était belle, parce qu’elle était nécessaire. Que jamais une voix humaine ne pût la réaliser, cela ne regardait et surtout n’inquiétait pas Beethoven. Une seule chose importe aux Beethoven : c’est leur pensée et non ce que nous en pourrons faire.

Allemand par un des caractères de la musique, Fidelio ne l’est pas moins par le caractère moral. Opéra conjugal comme Orphée, comme Alceste, il ne l’est pas de même. Aussi pur que l’un et que l’autre, il a quelque chose de moins relevé ; l’héroïsme ou le sacrifice n’y est pour ainsi dire pas de la même qualité ou de la même condition. Quand Léonore, sous les vêtemens humbles, presque serviles qui la déguisent, descend les degrés de la prison, je revois, à la clarté du soleil de la Grèce, parmi les lauriers et les marbres, le deuil éclatant du poète de Thrace ; l’épouse cherchée à travers la flamme et retrouvée sur les divins gazons par l’harmonieux époux faisant sonner sa lyre d’or. Gluck n’eut d’Allemand que le nom ; son génie était d’un Italien ou d’un Grec, en un mot, d’un classique. Italien aussi, peut-être plus qu’allemand, l’idéal de Mozart. Spectateurs de Fidelio, souvenez-vous des