et en s’excusant : « Je n’y suis pas encore accoutumée. » Ce n’est pas ici la pauvre, froide et banale parole, c’est la modulation furtive et sublime, c’est la musique enfin, qui fait défaillir le cœur de Léonore et le nôtre, et qui mêle dans cette âme et dans cette voix tant de crainte et d’espérance, tant d’horreur à tant de ravissement.
Le grand air de Léonore est encore une de ces pages « où la parole est vile, » comme dit Berlioz en son Faust, où la musique a toute la valeur et toute la puissance. Cet air est un admirable portrait de femme. Portrait changeant et divers dans une parfaite unité. Portrait en quelque sorte intérieur où l’âme, — et quelle âme ! — est modelée par le son et par le silence même, comme un visage l’est sur la toile par la lumière et l’ombre. Dès la première attaque du récitatif, on sent que de grandes choses vont se dire et qu’un des beaux momens de toute la musique approche. Les deux airs d’Alceste et l’air de Suzanne sous les marronniers, celui d’Agathe à sa fenêtre ; la prière d’Élisabeth dans Tannhaüser, les stances de Sapho, tels sont, avec l’air de Léonore, les plus magnifiques exemplaires d’un genre ou d’un type musical ; voilà les suprêmes sommets où la musique a porté l’âme féminine.
L’air de Léonore est sublime de courage ; il ne l’est pas moins, je ne dirai pas de faiblesse, mais d’attendrissement. Beethoven fait toujours penser au cri de Bossuet. « Loin de nous les héros sans humanité ! » L’héroïsme de cet air est humain ; il l’est à deux reprises par je ne sais quelle détente ou quel manquement du cœur : une fois dans l’adagio, une seconde fois dans l’allegro ; là dans la méditation sereine, ici dans l’emportement et l’enthousiasme. Et comme elle est belle complètement, comme elle enferme en soi toute beauté et toute vérité, cette figure musicale qu’est un grand air classique ! Récitatif, adagio, allegro ; quelle admirable économie de formes, de rythmes et de mouvemens qu’un tel air, puisqu’il manifeste, à leur degré supérieur et tour à tour, les deux états et comme les deux conditions de notre être : la contemplation et l’activité, la pensée sans limite et la volonté sans obstacle.
Chef-d’œuvre de musique pure, Fidelio est aussi un chef-d’œuvre allemand. Opéra symphonique, dit-on, et ce n’est pas ce qu’il faut dire ; en grande partie du moins opéra instrumental. La beauté vocale, verbale même, n’y manque pas, et j’en citerais de nombreux exemples ; mais elle y est souvent égalée et quelquefois dominée par la beauté des instrumens. En écoutant Léonore, je doute s’il y a plus d’héroïsme en sa voix ou plus d’amour profond, mystérieux dans l’accompagnement des cors, autres voix étranges et fidèles, qui n’étaient jadis que