Bayreuth, il n’est pas toujours sans inconvénient. À l’Opéra-Comique, il n’avait même pas l’avantage de créer l’illusion, du moins l’illusion pour tous. L’orchestre n’étant pas invisible pour les spectateurs assis de côté, ceux-ci voyaient, du premier étage, du second ou du troisième, deux groupes de personnages faire les uns de la musique symphonique dans le sous-sol, les autres de la musique vocale au rez-de-chaussée. Ainsi l’un et l’autre groupe n’avaient aucunement l’air de coopérer à une commune besogne, et très souvent, en fait, ils n’y coopéraient point. On a rapproché les distances et l’unité de l’exécution et de l’impression y a gagné.
La reprise de Carmen devait être intéressante deux fois : par le début très attendu, très annoncé, de la principale interprète et par le renouvellement de la mise en scène. De l’interprète, on ne saurait dire assez de mal ; de la mise en scène, il y a peu de mal à dire, et beaucoup de bien.
Ce sont des rapports délicats et périlleux, que ceux de la musique avec l’appareil théâtral. Il ne faut donner à la mise en scène des œuvres lyriques ni trop de valeur ni trop peu. S’il est à souhaiter que la figuration matérielle accompagne la figuration musicale et la fortifie, il n’est pas moins à craindre qu’elle la domine et l’écrase. Une ambition trop haute et de faux scrupules ont toujours empêché la reprise d’Armide à l’Opéra. Le chef-d’œuvre de Gluck exigerait, dit-on, une mise en scène ruineuse. Je n’en crois rien et la musique ne coûte pas si cher. Belle, elle crée elle-même son décor, elle fait seule presque tous les frais, surtout ceux de la féerie et de l’enchantement ; laide, ou seulement insignifiante, il n’est pas de machiniste, de décorateur ou de costumier qui puisse rien pour elle. Il faut même, en matière de mise en scène, avoir une certaine peur de la vérité. À force de vouloir en approcher, on s’en éloigne, témoin le dernier décor, modifié, de Carmen. Ce décor, autrefois, représentait une place devant le cirque. En plein air, en plein jour, on y voyait circuler, grouiller la foule et défiler le cortège éclatant. Puis, quand tout le monde était entré, Carmen et José demeuraient seuls, pour le duo final. Tout se passe maintenant à l’intérieur des arènes, dans un couloir et sous des voûtes sombres. Au dehors, dit-on, la scène était invraisemblable et le meurtre impossible, à cause des passans. Mais au contraire, c’est ici qu’il est impossible, dans le voisinage et comme dans le dos de deux spectateurs vivans, assis près de Carmen, à portée de sa voix et presque de sa main. Sans compter que les autres, huit ou dix mille environ, sont figurés sur la toile du fond, et que, voyant ou croyant voir de si près cette