d’abord, nous réfléchissons ensuite ; le divorce a pour résultat de donner aux coups de tête le caractère de l’irréparable. D’autre part, chez nous, plus que dans aucun autre pays, l’institution sociale elle-même repose sur l’institution de la famille, étroitement et sévèrement comprise. En relâchant le lien de la famille, on a du même coup desserré le lien social. En sorte que le divorce se trouve être un des instrumens les plus puissans de cette désagrégation et de cet éparpillement des forces qui est le grand mal d’aujourd’hui. Le moment serait bien choisi pour soulever contre lui un de ces mouvemens d’opinion qui emportent les textes de lois et balayent les subtilités des juristes. Pourquoi est-ce qu’un tel mouvement ne s’est pas dessiné au théâtre, pendant un espace de vingt années ? C’est que la campagne contre le divorce n’offre pas à l’écrivain de théâtre les mêmes ressources que lui offrait la campagne contre le mariage indissoluble. Ici, en effet, on nous faisait assister à la lutte d’un individu contre un état de choses qui l’opprime ; cela est éminemment dramatique. La société est-elle intéressée à ce que le lien du mariage ne puisse être définitivement rompu ? Cela est possible et prête à la discussion. Mais qu’un être souffre d’être rivé à une chaîne qui lui est devenue insupportable, cela n’est pas seulement possible, cela est, c’est un fait palpable, tangible, et sur lequel s’émeut aussitôt notre sensibilité. Les efforts que fait ce malheureux pour sortir de l’impasse où il est acculé, l’exaltation de sentimens qui en résulte, fournissent les incidens du drame, lui donnent l’émotion et l’éloquence et déterminent notre sympathie. Au théâtre nous sommes toujours pour l’individu, être de chair et de sang, dont on nous met les souffrances sous les yeux, contre l’idée abstraite et lointaine de conservation sociale. Au contraire la situation de la femme, telle que la crée le divorce, contient un élément de comique qui a tout de suite éclaté, et réjoui notre vieux fond de tempérament gaulois. Toutes les fois qu’on nous a montré la femme entre ses deux maris, et fait assister à la rencontre du mari d’aujourd’hui avec le mari d’hier, on nous a fait rire, d’un rire bas, j’en conviens, mais sûr. C’est pourquoi les conséquences du divorce n’ont défrayé que le vaudeville et la farce. Laissons ce point de vue : il reste qu’une personne qui a divorcé pour échapper à une union malheureuse, et s’est remariée pour tâcher de trouver le bonheur, a usé de son droit, mais n’est pas devenue pour cela particulièrement intéressante. Celui auquel va droit notre intérêt, parce que celui-là est condamné à subir une situation dont il est impossible qu’il ne souffre pas de mille manières, parce qu’il porte le poids de fautes qui ne sont pas les siennes, parce qu’il est la victime désignée
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