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une tasse de café et un morceau de sucre, sans faire des mots. Cela exclut du dialogue jusqu’à l’apparence de la sincérité et imprime à la conversation une allure tendue et laborieuse. Aussi bien ce genre de pièces ne vit que par l’esprit, et par cette nuance d’esprit qui est la plus moderne, et qui porte le mieux la marque qui pour l’heure est la marque parisienne. C’est chose de mode, et la mode ici comme ailleurs change vite. Hâtons-nous donc d’en saisir quelques traits.

Quelques-uns des mots semés à profusion dans Georgette Lemeunier n’ont évidemment coûté aucune peine à l’auteur. « On dit que plusieurs députés en sont venus aux mains. — Et même aux pieds… » Et comme Mme Sourette répond aux prénoms de Marie-Thérèse, on l’appelle, par manière de plaisanterie, l’archiduchesse. Ces mots et d’autres, de même fabrication, pourraient faire croire que l’esprit parisien est éminemment l’esprit facile. Mais il en est, en revanche, de si difficiles, qu’on voit se préparer de si loin, qui sont obtenus au prix de tant de complications et d’une telle recherche de préciosité ! Écoutez ce bout de dialogue : « Ma belle-sœur est en Amérique, chez ses parens. — Comment ? — Oui, elle ne s’est pas entendue avec mon frère ; au bout de six mois de mariage, ils font déjà deux continens. » Ou encore écoutez de quelle manière, au cours d’un entretien familier, l’ami de la maison s’excuse de ne pas savoir remonter une lampe : « Arrangez donc cette lampe qui va tout de travers. — Oh ! ça, jamais. Je suis comme Siebel, qui ne peut, sans qu’elle se fane, toucher une fleur ; je ne peux, sans qu’elle se casse, toucher une lampe. — Si vous trempiez vos doigts dans l’eau bénite !… » Longtemps on s’était accordé à laisser aux anas les calembours, à-peu-près et coq-à-l’âne. Les personnages de Georgette Lemeunier ne sont pas si dégoûtés. « Vous me dites que j’ai le plus profond mépris des femmes. Est-ce ma faute ? J’ai toujours été avec elles d’une telle correction que souvent elles étaient obligées de me rappeler aux inconvenances… » « C’est un homme âgé. C’est un vieillard qui a pris feu. Un octogénaire flambait… » « Toujours charmant pour sa femme, il lui rend égards pour écarts… » « Nous chassâmes ensemble. — Où ça donc ? — En Sologne, chez notre ami Chaptinval. Vous ne vous rappelez pas ces parties de chasse et ces dîners ? Quand Chaptinval avait bu, la Sologne était ivre… » La scène la mieux venue est celle où un vieux général congestionné monologue devant un jeune homme et, irrité de voir que ce jeune homme souriant ne l’interrompt pas, finit par le traiter d’idiot. Le rôle le plus amusant est celui d’une bonne qui pleurniche. Ce sont des effets qui dans le théâtre de Labiche nous paraissent un peu gros.