par brume surtout, alors que la flamme du phare rôde comme un oiseau affolé dans la cloche de vapeur qui la tient prisonnière, à quels drames n’ont-ils point assisté ? Si puissans, en effet, que soient les derniers appareils d’éclairage, ils n’arrivent point à percer les opaques ténèbres de certains brouillards. Vainement a-t-on voulu suppléer à la lumière par le son : les profonds rugissemens des sirènes marines ont peine à traverser ces couches denses et cotonneuses[1]. Combien de navires n’ont entendu la sirène, aperçu la diffuse clarté du phare, qu’à la minute même où le courant les drossait contre l’écueil qui le porte ? Du moins, à l’aide de cordes, de gaffes, les gardiens ont-ils pu bien souvent sauver la vie à de malheureux naufragés dont le navire venait de s’abîmer sous leurs yeux. Les registres des phares sont là pour l’attester. Il faut ouvrir ces registres, relever dans toute leur poignante simplicité les observations que les gardiens consignent en marge pour être transmises à l’ingénieur. Le 21 avril 1897, à sept heures du soir, le gardien des Sept-Îles aperçoit un incendie sur la mer, dans le N.-E. de l’île Bonneau, à environ 10 milles de distance. « L’obscurité, écrit-il, commençait à se faire, ce qui m’empêchait de bien voir. Cependant, je distinguai l’ombre d’un très grand navire : les flammes s’élevaient dans toute sa longueur à trois endroits différens et, par intervalle, il semblait que des explosions se faisaient à bord. À 8 h. 30, je ne distinguai plus rien. Le temps était calme et la mer belle. Je ne pouvais faire aucun signal de détresse au sémaphore, vu que la nuit venait. » Quelle évocation dans ces lignes ! Le défaut de barque, l’impossibilité où sont les gardiens de quitter leur poste, ont trop souvent fait d’eux les témoins impuissans de nos grandes catastrophes maritimes. Eux-mêmes ont leurs drames cachés, leur mystérieux martyrologe. Pour solidement bâtis que soient les phares, ils ne résistent pas toujours au choc des élémens : le phare d’Eddystone s’abîma une première fois dans la tempête de nuit du 26 novembre 1703. Le nouveau phare, construit avec plus de soin par Rudyard, brûla dans la nuit du 1er novembre 1755. Un troisième phare, construit peu après et réparé en 1839, puis en 1865, donnait des inquiétudes par suite de l’affaiblissement
- ↑ « Les navigateurs ne doivent pas perdre de vue que, dans certaines circonstances atmosphériques, la portée des signaux sonores, même des plus puissans, tombe au-dessous de 2 milles. » État de l’éclairage des côtes de France et d’Algérie. Instructions générales.