finir, et, lorsqu’il arrivait à son terme, je n’en éprouvais point de satisfaction. Je savais qu’un ennui de même nature allait fondre sur moi le lendemain. » Pour mieux suivre la fuite des heures, il avait suspendu sa montre à un clou, mais les aiguilles n’avaient pas l’air de se mouvoir. Il se disait alors : « Je vais rester longtemps sans y jeter les yeux, » et, lorsqu’il croyait avoir laissé passer un intervalle suffisant, il la regardait et s’apercevait que quelques minutes seulement s’étaient écoulées. Puis, ce fut le tic-tac de la montre qui, à la longue, l’agaça. Il la mit dans sa poche, dans un tiroir, dans une armoire : l’odieux bruit le poursuivait toujours. Finalement il jeta la montre à l’eau… L’énervement du malheureux homme se trahit ainsi à mille traits, jusqu’au moment où, par sa faute, son vieux compagnon meurt soudainement et le laisse seul dans le phare. C’est alors une bien autre affaire. La mer est démontée ; on ne peut répondre de la terre aux signaux d’alarme qu’il multiplie inutilement. Quand enfin on aborda pour le chercher, huit jours s’étaient écoulés et il était presque fou.
Sur quel fondement, réel ou imaginaire, repose le récit de l’auteur anglais ? Je ne saurais le dire ; mais ce ne sont point les confirmations qui lui ont manqué chez nous. N’avoir autour de soi que l’uniformité grisâtre de la mer, languir prisonnier, des semaines entières, sans pouvoir ouvrir une fenêtre, avec le même compagnon, dont la promiscuité obligatoire de cette vie vous a révélé toutes les manies, les habitudes, les façons de parler, les gestes, les tics, dont chaque mot est attendu et connu de vous par avance, — tout cela aussi est horrible. Nansen, dans son récit de voyage au pôle, raconte qu’au moment de l’hivernage, quand les marins du Fram, par hygiène, descendaient sur la glace, chacun « tirait de son côté, » n’avait souci que de s’isoler, d’échapper un moment à cette promiscuité du bord, à ces conversations invariables, à ces visages toujours les mêmes et que l’accoutumance avait fini par lui rendre presque odieux. Que des cerveaux mal prémunis n’aient pu s’accommoder d’un tel régime, la chose ne s’entend que trop bien. C’est dans un phare du Finistère, je crois, qu’un des gardiens fut brusquement frappé d’aliénation. Il faisait nuit ; son compagnon tenait le quart dans la lanterne. Il empoigna la rampe de l’escalier, fonça sur la lampe, voulut l’éteindre. L’autre dut engager une lutte terrible contre lui, le ligoter ; il hissa le pavillon noir de détresse ; on l’aperçut heureusement de terre au matin. La mer facilitait l’accostage. On put