se porte sur la jetée. Je me souviens en particulier d’une jolie fille de Marignane, aux yeux extraordinairement verts, du vert aigu des mers bretonnes, blonde, éveillée, qui n’avait pas seize ans et venait d’épouser un gardien. Dans la bande jacassante des enfans et des femmes, elle était la plus vive, faisait les questions et les réponses en même temps : « C’est la première fois que vous venez en Planier ? Moi, je ne me languis pas trop d’être ici. » Pourtant le séjour n’est pas des plus gais. Les vents du nord sont terribles : « Impossible de mettre le nez à la fenêtre ; il faut tout clore, allumer les lampes en plein jour. » Une autre femme, une mère, se plaint que les enfans ne reçoivent pas d’instruction. « Le gardien-chef s’arrange bien de son petit. Mais les autres ?… Il faudrait peut-être donner un supplément au chef pour qu’il fasse l’école à nos gamins… Ou bien nous envoyer tous les jeudis un instituteur de Marseille. » Puis, les logemens sont bien étroits. Dans certains ménages, chargés d’enfans, « on est tous empilés dans une même pièce. » Sous ces réserves, la vie est supportable « en Planier. » Le système du « chacun chez soi » prévient les mésintelligences qui naîtraient immanquablement d’une cohabitation absolue. De fait, tous ces gens s’entendent parfaitement ; les familles sont très unies, l’inspecteur de service n’est presque jamais forcé d’intervenir. Enfin l’on descend à terre de temps à autre : la « relève » des gardiens se fait régulièrement tous les cinquante jours. Dans l’intervalle, aux beaux mois, on reçoit la visite des eyssaugues, du côtier et des touristes. Le voisinage de Marseille met une animation continuelle sur la mer. La ville elle-même, sur l’horizon, dans un poudroiement lumineux, chante et miroite : on la dirait toute proche par temps clair. Et d’elle à Planier vingt îles s’allongent, font une chaîne d’or sur l’eau bleue. Ce n’est point là le farouche isolement des phares atlantiques. Et le semblant de nostalgie qu’on devine parfois aux yeux des exilés vient seulement de ce que la gaieté bruyante, l’exubérance de la race sont trop comprimées, ne trouvent point à s’épancher sur l’étroit espace qui leur est mesuré.
Et cependant les gardiens de Planier sont des privilégiés. Nulle part ailleurs, sur les écueils que la vieille langue marine appelle des Isolés, les gardiens n’ont leur famille avec eux. C’est la mer toute nue qui s’étend autour du phare ; les navires passent au large, silhouettes vagues, points troubles sur la grise immensité. Un cercle d’argent pâle ferme l’horizon, et cette mince